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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Poème d’ici
Émiline


Par Mazen Maarouf
2013 - 07

Mazen Maarouf est né en 1978 à Beyrouth et réside actuellement à Reykjavik. Après neuf ans de carrière dans les sciences, il se consacre à l’écriture. Ses critiques littéraires sont publiées dans an-Nahar, as-Safir et Jasad. Il a trois recueils de poèmes à son actif : Ka’an huznuna khubz (Comme si notre tristesse était du pain) chez Dar al-Farabi (2001), al-Kamera lâ taltakit al-’Asâfîr (L’appareil-photo ne capte pas les oiseaux) chez Dar al-Jamal (2010) ; et Malak ‘Ala Habl Ghassil (Un ange sur une corde à linge) chez Riad al-Rayyes (2012).

 

Émiline

3- Vous passerez le premier arbre. L’arbre sale. Celui qui sourit comme une marchande vendant à l’étalage du poisson pourri. Toi tu t’arrêteras et secoueras l’arbre. Mais tu n’y parviendras pas. Parce que personne ne peut secouer un arbre sans muscles ou sans terre officiellement reconnue. Les héros des dessins animés le font quelquefois. Secouer un arbre géant, en effleurant simplement l’une de ses feuilles. L’arbre a son amour-propre. L’idée te séduit. Les héros des dessins animés. Les choses autour de toi sont colorées et gluantes. Comme si elles avaient été ordonnées tout juste récemment. Colorées comme les décors des dessins animés. Et amères à la fois. C’est pour cela que tu ne peux tirer la langue et lécher les rues comme tu le faisais avant. Tu n’es plus capable de le faire maintenant. Non pas parce que tu es devenu propre ou gentleman, mais parce que tu ne veux pas te coller à un bord, à une colonne métallique, à une banderole ou à la main d’un mendiant. La main du mendiant équivaut ici à une erreur dans l’estimation de la quantité de couleur requise pour dessiner une plante. Tu secoueras l’arbre violemment. L’arbre par lequel tu as commencé ce paragraphe. Mais tu ne t’essouffleras pas. Tu ne sembleras pas impuissant. Parce que tu as marché pour arriver. Et non pas pour exercer les muscles des jambes. Une erreur dans l’estimation du temps nécessaire pour que l’arbre guérisse de son mutisme. Parce que tu t’en fous. Têtu que tu es dans ta mort et dans ta vie et dans ton insistance à pleurer derrière une bouteille de gaz ouverte. Et à porter des sous-vêtements blancs qui dénoncent l’évasion d’un groupe de spermatozoïdes minuscules hors du pénis. Ils se faufilent comme si en mission d’espionnage pour tester la propreté du monde avant d’y venir. Le sperme ne se soucie pas de la zone géographique à laquelle tu appartiens. Ne se soucie pas de ton identité en tant que Palestinien, ni de l’angoisse que tu portes entre tes côtes et qui dégage une odeur fétide. Du sperme tout simplement. Et ne prendra pas l’après-midi des nouvelles de ton genou avec lequel tu donnes un coup de pied dans le ballon. Tu dépasses le premier arbre, le deuxième… le septième. Jusqu’à un petit arbre. Tu es sur le point de lui parler. De le secouer. Émiline tend le bras vers toi. Arrête un peu. Sa main se pose sur ta bouche. Émiline dit à l’arbre : « Quant à toi, tu es encore tout petit... Reviens quand tu seras grand, qu’on puisse parler avec toi. »

 

Traduit de l’arabe par Ritta BADDOURA

 

 
 
D.R.
 
2020-04 / NUMÉRO 166