Par Nohad Salameh
2013 - 04
Née à Baalbeck en 1947, Nohad Salameh, poète libanaise d’expression française, mène une brillante carrière journalistique dans la presse francophone littéraire à Beyrouth dès le début des années soixante-dix. Sa rencontre à Beyrouth avec le poète Marc Alyn qu’elle épousera durant la guerre civile scelle son rapport à sa langue d’expression. Elle s’installe à Paris en 1989 et y réside depuis. De Baalbeck elle retient le signe solaire et l’héritage mythologique ; de son père Youssef Fadlallah Salameh, poète en langue arabe et fondateur du magazine littéraire Jupiter, elle reçoit le goût des mots et l’approche vivante des symboles. Salameh est l’auteure d’essais ainsi que de plusieurs recueils de poésie traduits en arabe, espagnol, roumain et serbe. Son dernier ouvrage, D’autres annonciations, poèmes 1980-2012, est une anthologie poétique parue en 2012 aux éditions Le Castor astral. L’écriture de Nohad Salameh a été récompensée par le prix Louise-Labé en 1988 et le Grand Prix de poésie de la Société des gens de lettres  en 2007.
L’intervalle
(…) Venus de plus loin que l’enfance
À bout de départs et de retours
De chutes et d’assauts
Nous basculons dans la blancheur unanime
Ni sanglot
Ni amertume
Pas même un bruissement
Mais l’intervalle.
Nous nous réveillerons peut-être
En une danse de sable
À l’écart de nous-mêmes
Avec un visage anonyme
L’éternité au fond de la gorge.
Nous revenons de tant de comas
De la conjonction des voix et des silences
Du lointain et du proche
De ce lieu où quelqu’un marche
Si léger, si invisible
Qu’il traverse nos murs de part en part
Sans égratignure ou lézarde.
Nous revenons du temps inhabité
À l’écoute du fruit
Au cœur d’une saison sans tumulte
Nous cèderons aux rescapésÂ
La respiration pathétique des montagnes.
Des paysÂ
Certains pays portent de grands manteaux de feu
afin de se protéger de la nuit
pareils aux saints des temps anciens
allant, venant et causant à voix basse
à travers les jardins épicés de légendes.
Des pays où des paysages intouchables
s’éveillent en sursaut
au plus noir du sommeil
pour expirer à force de splendeur
– écriture d’incendie
sous la plume du poète.
Il existe des terres d’orgueilleux testaments
lourdes d’encens
de danses, de fontaines
où chaque pierre est un berceau de colère
atterrée de n’avoir que la mort
à offrir aux enfants du futur.
EnsembleÂ
Que nous marchions dans l’eau ou le feu
– Peu importe –Â
Vieillis de quelque absurde poussière
Ou rajeunis d’une rose
Avec nos fantasmes longs comme le souvenir
Nous rions ensemble de ce monde
Qui bascule promptement dans la cendre
Et nous étanchons nos soifs parallèlesÂ
À l’encre blanche des oracles.
Viens plus près, mon royaume
Dormons loin des pioches des monstres
Dans le délire de la vigne
Sur le toboggan des couleurs
Qui modulent pour nous
Des notes d’allégresse.
Et quand rejaillira le jour
Je te donnerai à manger mes yeux :
L’un colombe l’autre rapace.Â