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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Poème d’ici
L’intervalle


Par Nohad Salameh
2013 - 04

Née à Baalbeck en 1947, Nohad Salameh, poète libanaise d’expression française, mène une brillante carrière journalistique dans la presse francophone littéraire à Beyrouth dès le début des années soixante-dix. Sa rencontre à Beyrouth avec le poète Marc Alyn qu’elle épousera durant la guerre civile scelle son rapport à sa langue d’expression. Elle s’installe à Paris en 1989 et y réside depuis. De Baalbeck elle retient le signe solaire et l’héritage mythologique ; de son père Youssef Fadlallah Salameh, poète en langue arabe et fondateur du magazine littéraire Jupiter, elle reçoit le goût des mots et l’approche vivante des symboles. Salameh est l’auteure d’essais ainsi que de plusieurs recueils de poésie traduits en arabe, espagnol, roumain et serbe. Son dernier ouvrage, D’autres annonciations, poèmes 1980-2012, est une anthologie poétique parue en 2012 aux éditions Le Castor astral. L’écriture de Nohad Salameh a été récompensée par le prix Louise-Labé en 1988 et le Grand Prix de poésie de la Société des gens de lettres  en 2007.

 

L’intervalle

(…) Venus de plus loin que l’enfance

À bout de départs et de retours

De chutes et d’assauts

Nous basculons dans la blancheur unanime

Ni sanglot

Ni amertume

Pas même un bruissement

Mais l’intervalle.

 

Nous nous réveillerons peut-être

En une danse de sable

À l’écart de nous-mêmes

Avec un visage anonyme

L’éternité au fond de la gorge.

 

Nous revenons de tant de comas

De la conjonction des voix et des silences

Du lointain et du proche

De ce lieu où quelqu’un marche

Si léger, si invisible

Qu’il traverse nos murs de part en part

Sans égratignure ou lézarde.

 

Nous revenons du temps inhabité

À l’écoute du fruit

Au cœur d’une saison sans tumulte

Nous cèderons aux rescapés 

La respiration pathétique des montagnes.

 

 

Des pays 

Certains pays portent de grands manteaux de feu

afin de se protéger de la nuit

pareils aux saints des temps anciens

allant, venant et causant à voix basse

à travers les jardins épicés de légendes.

 

Des pays où des paysages intouchables

s’éveillent en sursaut

au plus noir du sommeil

pour expirer à force de splendeur

– écriture d’incendie

sous la plume du poète.

 

Il existe des terres d’orgueilleux testaments

lourdes d’encens

de danses, de fontaines

où chaque pierre est un berceau de colère

atterrée de n’avoir que la mort

à offrir aux enfants du futur.

 

 

Ensemble 

Que nous marchions dans l’eau ou le feu

– Peu importe – 

Vieillis de quelque absurde poussière

Ou rajeunis d’une rose

Avec nos fantasmes longs comme le souvenir

Nous rions ensemble de ce monde

Qui bascule promptement dans la cendre

Et nous étanchons nos soifs parallèles 

À l’encre blanche des oracles.

 

Viens plus près, mon royaume

Dormons loin des pioches des monstres

Dans le délire de la vigne

Sur le toboggan des couleurs

Qui modulent pour nous

Des notes d’allégresse.

 

Et quand rejaillira le jour

Je te donnerai à manger mes yeux :

L’un colombe l’autre rapace. 

 
 
D.R.
 
2020-04 / NUMÉRO 166