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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Témoignage



Par Paul Mattar
2017 - 05
«?Mon discours est sans parole, sans langue et sans bruit ; comprends-le sans esprit et entends-le sans oreille.?» (Extrait du Langage des oiseaux, Farîd ud-dîn el-‘Attar)


Comment rendre hommage à un homme qui fut, lui-même, tout au long de son existence, un hommage continuel à l’intelligence et au savoir-vivre??

Le silence, dans ce cas, serait sans doute la marque de respect et d’affection la plus éloquente envers l’ami si peu «?disparu?».
Le silence, je le gardais souvent quand il parlait, car il le faisait pour deux.

Il parlait à voix si basse, si délicate, qu’on aurait dit qu’il chuchotait. Ses propos sonores étaient souvent inaudibles à nos oreilles. Mais avec lui, nul besoin de ces dernières pour l’entendre, ce sont notre tête et notre cœur qui étaient mis à contribution, devenant les réceptacles d’une parole délicatement posée, comme la rosée, sur nos esprits impatients. Il avait très bien compris ce qu’on apprend au théâtre?: «?Si tu veux te faire entendre baisse la voix.?» 

Il avait bien compris aussi que la parole est un acte qui ne se pratique jamais seul mais toujours à deux, au moins.

Et la magie opérait.

L’interlocuteur s’accrochait à sa parole et, sans dire le moindre mot, s’appropriait les siens, pour mieux se reconnaître et mieux se comprendre.

La douce puissance de ses propos vous pénétrait imperceptiblement la peau pour se fondre en vous jusqu’à devenir le reflet de vous-même. On eut dit une voix intérieure que vous entendiez. La vôtre.

Mais c’était toujours lui qui parlait.

Le plaisir à l’écouter, et par ricochet, à nous écouter nous-mêmes, était un enchantement. Car nous nous découvrions ensemble sans bruit loin des mondanités bruyantes et des contraintes de la bienséance vocale ou sonore.

Le sérieux des propos à échanger n’était pas de rigueur. Il était souvent question de plaisanteries bon enfant.

Il ne s’agissait jamais d’être pour ou contre une idée, un courant, une prise de position… mais bien d’être ensemble dans la pensée et de comprendre qu’à défaut de cette amicale union, la vie ne valait pas la peine d’être vécue.

La dernière fois que je l’ai vu, son corps était épuisé. Il n’avait néanmoins pas arrêté de parler. Avec les yeux et dans sa langue universelle.

Aujourd’hui, il est allé ailleurs conter sa riche expérience terrestre.

Il y a quelques jours, la brise printanière qui passe au-dessus de nos têtes m’a soufflé qu’il avait élu domicile comme tribun auprès de l’assemblée des anges. Même les plus durs d’oreille l’écoutent avec ravissement.

Il paraît que depuis qu’il les a rejoints, ils sont enfin «?aux anges?». Les anges.


 
 
D.R.
 
2020-04 / NUMÉRO 166