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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Par Maya Khadra
2014 - 01
L’intrigue, dans le roman de Carmen Boustani, s’inaugure sur un «?je?» autodiégétique?; une narratrice qui évolue dans une double temporalité, tiraillée entre passé et présent. Myriam, divorcée et dont des kilomètres la séparent de son fils unique, se réfugie dans la maison parentale où les souvenirs se télescopent et où «?tout a disparu en un clin d’œil, lorsque les bombardements ont touché (cette maison) aux tuiles rouges, classée par l’Unesco en tant que patrimoine national?». N’ayant pas pu surmonter le deuil après la mort de sa sœur, elle plonge dans l’univers des derniers jours de cette dernière, motivée par une curiosité dévorante, phagocytant toute procrastination ou intention de partir avant d’avoir tiré au clair la relation énigmatique qui liait la défunte avec le Père Antonios Tarabay, ermite dont la réputation de sainteté a couru dans tout le pays. Le hasard fait qu’elle rencontre un archéologue français louant une maison à deux pas de chez elle. La sœur défunte, l’archéologue, Abouna Antonios et Myriam forment les quatre pôles d’un roman qui tourne autour du thème de la quête des origines.

Absorbée par la lecture des fiches roses trouvées dans «?un carton plein de poussière?» et qui relatent les visites de sa sœur chez Abouna Antonios, la narratrice s’attelle à la rédaction de la biographie dudit ermite tant pour exaucer le rêve de sa sœur que pour rendre hommage à cet ascète «?à la grande foi, fondée sur le sacrifice et la restriction du plaisir?». En filigrane, elle se cale mieux dans cette maison qui se transforme en un vrai chantier où le présent se décline en fonction du passé. En effet, la narratrice met en action son talent d’écrivaine pour que de l’espace du hic et nunc émerge un roman ressuscitant le passé.
Michel, l’archéologue français, trouve sa vraie identité dans les strates des fouilles archéologiques au Centre-ville de Beyrouth. Et, reclus dans sa maison campagnarde, son cœur bat de nouveau après la mort de sa femme… Cette fois-ci pour une Libanaise, Myriam?! Ça aurait pu être perçu comme une histoire d’amour des plus futiles qui égaie, le temps de quelques parenthèses narratives, l’ambiance lourde d’un roman qui oscille entre passé et présent. Or, l’amour que Michel voue à Myriam met en lumière l’instabilité psychique de cette dernière qui, enfermée dans son passé, n’abandonne pas son alliance ni n’avoue son amour pour l’archéologue. Elle se contente du bonheur éphémère naissant de quelques moments empreints de regards, d’étreintes et de quelques baisers fugaces.

Le binôme formé par l’ermite et la sœur de la narratrice constitue le moteur mobilisant la trame d’un second récit, mis en abyme et conférant au roman de premier niveau, son caractère hétéroclite. L’alliance paradoxale des thèmes d’amour charnel et de sainteté fait du roman de Carmen Boustani un diptyque où abnégation monastique et abandon charnel coexistent en état de symbiose.

La dernière page de ce roman, caractérisé par un style très fluide et sans fioritures, se tourne sur le départ injustifié et imprévu de Michel, suivi de celui de Myriam qui aurait fermé pour la dernière fois la porte de la maison délabrée de ses parents, mais surtout la boucle d’un roman qui s’est écrit entre les quatre murs de la résidence familiale. Ainsi, la vie de mortification de l’ermite s’éternise et la parenthèse amoureuse de Myriam et Michel s’étiole, en laissant transparaître un message rationnel?; celui de la nécessité de l’emprise de l’esprit sur la chair et de la grandeur du passé devant l’éphémère du présent.


 
 
Reclus dans sa maison campagnarde, son cœur bat de nouveau après la mort de sa femme…
 
BIBLIOGRAPHIE
Un ermite dans la grande maison de Carmen Boustani, Karthala, 2013, 276 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166