FEUILLETER UN AUTRE NUMÉRO
Mois
Année

2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
CHERCHER SUR LE SITE
 
ILS / ELLES
 
LIVRES
 
IMAGES
 
Au fil des jours...
 
Relectures
Chesterton, prince du paradoxe


Par Richard Millet
2015 - 07
La France redécouvre Gilbert Keith Chesterton : une biographie de l’écrivain, Le divin Chesterton, par François Rivière; la réédition de sa propre autobiographie : L’homme à la clé d’or ; la traduction de La chose. Pourquoi je suis catholique, et diverses rééditions en format de poche.

C’est donc un grand bonheur pour nous, lecteurs, dans une époque plutôt sinistre, en proie à la violence guerrière, au terrorisme, aux séismes, à l’insignifiance politico-culturelle, à la perte de repères… Non qu’on eût oublié Chesterton : certains de ses livres n’ont cessé de figurer au catalogue de quelques éditeurs, notamment Gallimard ; mais comme c’est le cas pour bien des modernes devenus des classiques, on ignorait ce qu’on pensait connaître ; et le monumental Chesterton plus qu’aucun autre. Il est vrai que monumental, Chesterton l’était par son physique (130 kilos pour 1,90 m) autant que par l’abondance et la diversité d’une œuvre qui compte une centaine de livres, dont les plus célèbres cachent la forêt.

La biographie proposée par François Rivière est honnête et succincte, comme si l’auteur ne pouvait que faire bref devant cet Himalaya. Du moins permet-elle de saisir clairement la trajectoire d’un écrivain qui nous apparaît comme le prince de ces étonnants catholiques anglais que sont Hilaire Belloc, Graham Greene et Evelyn Waugh. On se contentera d’autant moins de cette biographie que Chesterton a écrit son autobiographie : un régal de mise en scène anti-narcissique, d’ironie, d’humour, de notations introspectives qui semblent des pieds de nez à la psychanalyse qui devenait à la mode, dans les années 1930. On suit les étapes d’une existence qui a commencé à Londres, en 1874, dans l’hérésie anglicane, pour s’achever, en 1936, à Beaconsfield, au nord de Londres, au sein de la religion catholique romaine. 

Les anecdotes abondent sur Chesterton : mieux vaut découvrir par soi-même la géniale singularité d’un homme qu’on ne saurait réduire au rôle d’« excentrique anglais », porteur d’une cape et d’une canne-épée, et excessif amateur du vin de bourgogne. Cet inlassable polémiste a abordé tous les genres littéraires, de la biographie (Dickens, saint François d’Assise, saint Thomas d’Aquin) à la poésie, de la série des Enquêtes du Père Brown, au roman halluciné (Le nommé Jeudi, Le Napoléon de Notting Hill, La sphère et la croix) et aux nouvelles à la logique déroutante : Le poète et les lunatiques, Le club des métiers bizarres, L’inconvénient d’avoir deux têtes, et aussi des essais, au premier rang desquels ceux qui témoignent en faveur de la religion catholique à laquelle Chesterton s’est officiellement converti en 1922 : le célèbre Orthodoxie, L’homme éternel et La chose. Pourquoi je suis catholique, qui vient enfin d’être traduit en français.

Si la lecture de Chesterton, comme celle de son contemporain Léon Bloy, procure un si grand bonheur, c’est non seulement pour l’originalité de ses sujets, mais aussi pour ce qu’il y a d’implacable et d’irrésistible dans un humour qui jaillit d’un perpétuel paradoxe, lequel est tout à la fois un accomplissement du catholicisme et un dépassement de l’esprit anglais pour une vision universelle du monde. On pourrait presque dire qu’il suffit de lire ses essais pour être catholique : Kafka ne disait-il pas de lui que sa joie donnait l’assurance que Chesterton avait rencontré Dieu ? Rien de moins bigot ni de traditionnaliste, cependant, que ces livres qui font de Chesterton le plus grand écrivain anglais de la première moitié du XXe siècle, avec Virginia Woolf. « Le monde est plein de valeurs chrétiennes devenues folles », disait-il. On ne peut que lui donner raison et rejoindre la cohorte d’admirateurs qui compte Claudel, Hemingway, Greene, Orwell, Orson Welles, Garcia Marquez et tant d’autres.







 
 
D.R.
 
BIBLIOGRAPHIE
Le divin Chesterton de François Rivière, Rivages, 2015, 216 p.
L’homme à la clé d’or de Gilbert Keith Chesterton, traduit de l’anglais par Maurice Beerblock, Les Belles Lettres, 2015, 448 p.
La chose. Pourquoi je suis catholique de Gilbert Keith Chesterton, traduit de l’anglais par Pierre Guglielmina, Climats, 2015, 352 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166