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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Le livre de chevet de...
Myriam Antaki
2017-03-02
Le livre de chevet est ma patrie première, celle de la voix de ma mère, à l’heure du conte de l’enfance. Moment fragile dans ma mémoire où il fallait entrer dans la nuit sans pleurer, car les fées aux yeux d’azur triomphaient toujours des femmes souterraines… Ainsi, j’appris à me pencher sur la vie avec la peur du mal quand la tendresse des mots rendait l’esprit paisible pour aimer le sommeil.

Quand j'ai grandi, j’ai souffert d’un remords imaginaire de n’avoir pas veillé jusqu’à l’aube pour écouter encore les paroles de ma mère. J’appris lentement que le passage entre la fiction du conte et la vérité d’être était un privilège de la maturité. On porte en soi dans une permanence grandissante la métamorphose de l’enfant en adulte et je devenais alors une amoureuse de la lecture dans une relation charnelle avec le livre et, près de ma lampe, je faisais les voyages du temps et du cœur. J’allais dans la taïga russe où Tchaïkovski puisait son génie et le livre de chevet devenait musique de passion, de blessure, de désespoir grandiose. Puis je m’évadais vers la Perse antique, dans les livres érotiques des Rois qui éveillaient les fantômes assoupis, les animant d’une vie brillante et menaçante. 

J’avais toujours écrit la Syrie, mon pays natal à feu et à sang et je relisais les mots de cendres pour éveiller les phénix aux ailes broyés. Comme dans l’amour, rien ne revient pareil mais il fallait survivre pour dire encore cet amour.

D’autres soirs, je découvrais les fleuves rouges de l’Afrique, les génocides tribaux, la blessure du corps des femmes et les paroles noires fécondaient soudain la France, car une littérature agrandit toujours l’autre. La France de Rabelais, de Chateaubriand ou de Sartre, avec ses lettres d’or, sa culture silencieuse dans un livre de chevet, ne déclinait jamais car ses poètes, ses écrivains étaient porteurs de lumière.

D’autres voix me parlaient parfois, celles des hommes du songe comme Darwin qui porta la civilisation aux confins du monde pour découvrir enfin l’origine si peu flatteuse de l’homme. Puis l’Amérique devint la terre de la ruée vers l’or quand il n’y a de l’or que dans le regard de l’amour.

À Noël, je redeviens enfant et le conte revient comme une berceuse du temps où le bien triomphait du mal et la tendresse de la mère était une étreinte, un mot, un espoir dans le silence et la nuit.
 
 
© D.R.
 
2020-04 / NUMÉRO 166