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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Au Salon



Par Vanessa MADI
2012 - 11
Autant arpenteur des villes méditerranéennes qu’artiste peintre, Julien Solé retranscrit ses mémoires des lieux parcourus à travers de gigantesques fresques murales, inédites répliques du tissu urbain. Plusieurs centaines de pages de livres, de croquis et d’aquarelles s’assemblent pour composer un panorama aux dimensions spectaculaires. Au Salon du livre se révèle ainsi dans l’art de l’illusion la représentation d’une cité orientale où coexistent éternité et inconstance. 

Est-ce parce que Julien Solé est fils d’écrivain qu’il entretient un lien si étroit avec le livre?? Fort possible. En tous les cas, l’objet sacré joue un rôle déterminant dans son travail artistique consistant en une œuvre picturale singulière et détournée. Les pages de livres deviennent le support idéal sur lequel se déclinent  variablement prises de notes, dessins et peintures. Outre son étonnante résistance, ce matériau de prédilection constitue en lui-même une source d’inspiration pour l’artiste. Quel que soit le traitement imposé, le feuillet imprimé s’obstine à conserver des traces intrinsèques, persistant toujours à dire l’essentiel. Les mots sautent alors aux yeux dans une curieuse mise en relief.

Au-delà de sa dimension esthétique, le projet du peintre est une entreprise quasiment écologique puisqu’il confère une seconde vie à des ouvrages destinés à la destruction. Les fonds documentaires étant en effet inévitablement amenés à disparaître du fait de l’incidence du climat et du travail des insectes. D’un point de vue strictement technique, sachant que soixante pages permettent de recouvrir un mètre carré de surface et que la fresque exposée au Salon est d’environ soixante mètres carrés (cinq mètres de hauteur par douze mètres de largeur), plusieurs dizaines d’ouvrages ont été nécessaires à la réalisation de cette œuvre illusoire.

Si Julien Solé est basé à Marseille, la ville portuaire n’est pratiquement qu’un lieu de passage qui lui permet d’arriver pour mieux repartir. Dès le lendemain de sa formation d’ingénieur au début des années 2000, le Français d’origine syro-libanaise s’en va en quête d’ailleurs. De l’autre côté de la frontière de verre. C’est ainsi que ses déambulations le conduisent en Égypte, mais également au Népal, en Inde, en Éthiopie et aujourd’hui au Liban, Solé se laisse interpeller par ces cités protéiformes et fécondes où règnent la vie dans toute sa splendeur, la mixité sous toutes ses formes. Les visages et les langues, les immeubles et les couleurs, acteurs et décors d’un spectacle qui constitue rapidement une intarissable source d’inspiration. Il choisit alors le dessin et la peinture sur les pages des vieux livres pour narrer ce qu’il découvre au cours de ses périples en terres orientales. Tandis que la plupart des villes occidentales sont ordonnées et structurées, l’exotisme oriental, son chaos, ses paradoxes, son désordre, son esthétique ont l’effet d’un précieux stimulant sur l’artiste.
 
Spécialement créée à l’occasion du Salon du livre de Beyrouth, la fresque de Solé évoque une bibliothèque dont les façades de papier seraient en train de brûler au milieu de la ville. La perspective du visiteur s’opère de l’intérieur vers l’extérieur, accessible à l’œil par des portes donnant sur un monde coloré. Les murs carbonisés de l’édifice ne sont pas sans rappeler le caractère périssable du livre, cependant, l’équilibre est instantanément rétabli par les teintes vives émanant de la cité orientale. Dans le détail comme dans l’ensemble, le travail de Solé consiste en la pratique de l’art du palimpseste et donc de la superposition de divers éléments. D’abord dans la forme, puisque les bribes de notes, les dessins et les peintures de l’artiste s’ajoutent sur des pages dont les écritures ne disparaissent jamais intégralement. L’accumulation apparaît par ailleurs dans le contenu de la fresque qui tente de brosser le cosmopolitisme. Cela devient possible grâce à la conception d’une œuvre polyglotte. Il semblait indispensable à Solé de recourir à des livres écrits en français, mais aussi en anglais et en arabe, puisque le multilinguisme demeure aux fondements de la culture orientale. Enfin, les feuilles dont se sert le peintre sont issues aussi bien de publications anciennes que d’ouvrages plus récents. Ainsi les temporalités du passé et du présent s’entremêlent, la tradition et la modernité ne forment plus qu’un.

À l’instar de la ville orientale en perpétuelle édification, la fresque de Solé est une œuvre volontairement inachevée. Exposée, elle se prolongera en se nourrissant de fragments épars, et ce durant toute la durée du Salon.


 
 
À l’instar de la ville orientale en perpétuelle édification, la fresque de Solé est une œuvre volontairement inachevée.
 
2020-04 / NUMÉRO 166