FEUILLETER UN AUTRE NUMÉRO
Mois
Année

2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
CHERCHER SUR LE SITE
 
ILS / ELLES
 
LIVRES
 
IMAGES
 
Au fil des jours...
 
Le point de vue de...



Par Michael Young
2015 - 09
Il y a deux ans, le 21 août, le régime du président Bachar el-Assad, ignorant les «?lignes rouges?» établies par Barack Obama, bombarde la Ghouta orientale, près de Damas, à l’arme chimique. Le nombre des morts est estimé entre 200 et 1700 personnes.

À la suite du massacre et au moment où les forces américaines préparent une riposte militaire, le New York Times et CBS News publient les résultats d’un sondage?: 75% des personnes interrogées pensent que le régime syrien a utilisé les armes chimiques, et cependant une majorité de 60% s’oppose à toute intervention.

Depuis, l’indifférence envers la situation en Syrie ne fait que s’accroître en Amérique et même en Europe, sauf quand il s’agit du danger représenté par L’État islamique. Le 16 août dernier, l’aviation syrienne bombarde un marché ouvert de Douma tuant une centaine de personnes. Cet effroyable carnage ne réussit même pas à faire la première page des grands journaux américains et anglais.

En répondant que la Syrie n’est pas leur affaire et qu’il est injuste de blâmer l’Amérique, certains Américains ne font que confirmer leur désintérêt profond. Et pourtant leur insensibilité cache une double contradiction – idéologique d’abord, culturelle ensuite. Idéologique, puisque les Américains étaient parmi les premiers à concevoir une formule universelle des droits de l’homme dans leur Déclaration d’indépendance. Il y a eu, certes, beaucoup d’exceptions à cette règle dans la pratique politique américaine, mais cela n’a jamais empêché l’internationalisation du combat pour les droits, cette solidarité transcendante qui fait que les principes doivent s’appliquer partout, d’avoir une influence puissante sur l’Amérique et les Américains.

À cela s’ajoute une contradiction culturelle avec un thème essentiel qui revient souvent dans l’art américain. Que ce soit dans ses romans, dans ses films, ou même dans ses mythes nationaux, l’Amérique s’est toujours identifiée à un individu qui fait face à un obstacle ou à un mal insurmontable, et qui réussit néanmoins à le vaincre.

Cependant, quand il s’agit de la guerre civile syrienne, ni les principes universels ni la confiance dans la capacité des États-Unis de prévaloir contre le mal semblent être présents. Et pourtant c’est bien Obama lui-même qui avait promis d’œuvrer pour un système international basé sur les règles. Ce à quoi nous assistons depuis le début du conflit en Syrie c’est l’abandon systématique de toute solidarité avec les victimes, de tout sens de fraternité internationale, à l’opposé, par exemple de ce que l’on a vu avec les victimes des attaques contre New York et Washington en septembre 2001 où les Américains exigeaient pour les victimes, et à juste titre, une sympathie sans réserves.

George W. Bush l’a dit devant le Congrès américain le 20 septembre 2001?: «?Ou bien vous êtes avec nous, ou bien vous êtes avec les terroristes.?» Il n’est pas difficile d’imaginer que le peuple syrien pourrait répondre aux Américains?: «?Puisque vous n’êtes pas avec nous, vous êtes avec le régime de Bachar el-Assad.?»

Une chose est certaine, les Américains ne ressemblent ni à l’image qu’ils ont d’eux-mêmes ni à celle qu’ils propagent depuis des décennies. Ils sont très loin de la «?Cité sur la colline?», cette image du puritain John Winthrop représentant l’Amérique comme un idéal pour le monde et justifiant de son «?exceptionnalisme?». À la place, nous voyons aujourd’hui un pays insulaire, détaché, où les célébrités du jour sont du piètre niveau de Kim Kardashian et Donald Trump.

On a souvent blâmé Barack Obama pour cette attitude. En réalité, le président américain n’a fait qu’adopter celle de sa société. Il fut une époque où, quand il manœuvrait encore pour être président, les directeurs de sa campagne voulaient le présenter comme étant un homme avec une expérience internationale s’appuyant sur le fait qu’il avait vécu en Indonésie pendant sa jeunesse. Cette supercherie a marché, nous donnant droit à un des présidents les plus isolationnistes depuis un demi-siècle.

Aujourd’hui, à côté de Kim et Donald nous avons Barack, tous, dignes représentants d’une Amérique sans grand intérêt, obsédée par elle-même et apathique envers le monde. Un pays qui assiste avec une froideur déconcertante à un des pires crimes du siècle et qui continue à se décrire comme le plus grand pays de la planète. Les Syriens s’en souviendront.
 
 
D.R.
« L’indifférence envers la situation en Syrie ne fait que s’accroître en Amérique. »
 
2020-04 / NUMÉRO 166