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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Considérations sur le malheur libanais


Par Ziad Majed
2007 - 06
Dans son livre Considérations sur le malheur arabe paru en 2004, Samir Kassir explique pourquoi le malheur des Arabes se trouve dans leur géographie davantage que dans leur histoire. Selon lui, la présence des Arabes au cœur du « vieux monde » (vis-à-vis de l’Europe, des conquêtes, de la révolution industrielle, du colonialisme, des enjeux du canal de Suez, mais aussi  face à la création d’Israël et la nakba palestinienne, de l’abondance du pétrole, des guerres du Golfe et des conflits géostratégiques) est responsable de leur malheur plus que leur histoire. Même si, au cours de cette dernière, l’avortement de la modernisation, la montée des dictatures combinée aux structures conservatrices ont infligé des dégâts parfois irréversibles aux sociétés entre l’océan et le Golfe.

Projetant cette même analyse sur le Liban, ce pays illustre de plus en plus, et à lui seul, toute cette condition qui est davantage la conséquence de sa géographie malheureuse que de ses structures internes, leurs mutations et contradictions souvent conflictuelles.

La géographie du Liban qui le place entre Israël et la Syrie du régime Assad, dans une région qui, de Bagdad à Gaza, et de Doha à Casablanca, est victime de guerres, d’occupations, de manipulations et de despotisme, le condamne à subir sur son territoire toute sorte de conflits qui viennent se greffer à ses crises internes. Des crises que son système politique a rarement su gérer par le passé, et n’est plus en mesure d’y faire face aujourd’hui tant le confessionnalisme, les projets d’expansion au sein des institutions politiques des blocs communautaires concurrents (dont un reste armé aujourd’hui !) l’affaiblissent jusqu’à la paralysie. Le malheur libanais est ainsi une condition qui mérite, non pas l’entretien de l’illusion d’un quelconque retrait de la région, mais une réflexion sur les moyens et les politiques capables de limiter les dégâts de la géographie et d’amortir les chocs de ses drames. Ceci ne pouvant se faire qu’à travers un État démocratique, laïque et fort ayant une position régionale bien claire et démarquée des luttes entre axes rivaux sans pour autant être désengagé politiquement, culturellement et diplomatiquement du soutien à la cause palestinienne et aux causes ayant trait à la renaissance et la démocratisation… Samir Kassir a sans doute cru en mars 2005 (même avec ses doutes d’historien et son questionnement sur la capacité de la classe politique libanaise à entamer des réformes sérieuses au sein du système et des institutions) à un véritable printemps libanais, à une dynamique politique qui pourrait élaborer la reconstruction de l’État et favoriser l’éclosion de bourgeons printaniers à Damas et dans la région. Il a affirmé que la démocratisation de la Syrie serait indispensable pour l’indépendance du Liban et pour sa survie face au « malheur géographique ». Deux ans après son assassinat, le triste tableau que les événements ont peint, à Beyrouth comme dans tout le pays, lui a donné raison. La malédiction géographique a frappé le Liban et l’a encerclé de tous bords. La contre-offensive du régime du Baas qui a débuté, ironiquement et tristement, avec le meurtre de Samir, la guerre israélienne de juillet, les ingérences iraniennes et la politique régionale de l’Administration américaine ont fini par avorter le printemps libanais et étouffer ses bourgeons à Damas.On pourrait plier sous le poids de la malédiction et se résigner à un sort accablant. Sauf à refuser, comme Samir, le malheur comme un destin, comme une fatalité. Sauf à contrer, avec le même acharnement et la même détermination qui ont fait le printemps de 2005, la condamnation géographique.  Sauf à se mobiliser pour la souveraineté, pour les réformes politiques et économiques, pour la laïcité, et pour l’État de droit. Seulement alors, nous aurons conjuré le sort en gage de fidélité à la vie et… à Samir.
 
 
D.R.
 
2020-04 / NUMÉRO 166