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L’utopie et la nécessité


Par Bahjat Rizk
2007 - 07
La notion de dialogue des cultures est parfois envisagée comme une notion positive, essentielle, structurante de la mondialisation, et d’autres fois comme une notion menaçante, taboue, confuse, qui remet en question l’identité et le modèle sacro-saint de l’État-nation. Ainsi, à un niveau international, au sein de la plupart des instances internationales, le Nations unies, l’Unesco, l’OIF, l’Europe, les sommets des chefs d’État arabes ou francophones, on met en avant la notion de diversité culturelle et on souligne la nécessité du pluralisme culturel, alors qu’à un niveau national, ces notions sont totalement occultées, car une fois reconnues et identifiées, elles risqueraient d’entraîner des revendications politiques et une remise en question de l’entité nationale.

Au XXIe siècle, les idéologies ne sont plus uniquement économiques et sociales, elles deviennent identitaires et culturelles. La mondialisation et le développement des moyens de communication ont engendré une interpénétration des espaces culturels et un risque de conflits politico-culturels permanents. L’Unesco elle-même définit aujourd’hui la culture comme une notion étroitement reliée à la notion d’identité. Il ne s’agit plus d’activités culturelles, parallèles au champ politique. Ainsi la notion de dialogue des cultures reste un vœu pieux, un slogan brandi dans les instances internationales dont tous les pays se prévalent mais que tous récusent au niveau interne, de peur d’entraîner une fragmentation de l’espace national même si les conflits qui apparaissent aujourd’hui sont infra-nationaux ou transnationaux.

La difficulté également pour les conflits culturels, c’est qu’ils font référence, selon l’histoire du pays et sa géographie, à un paramètre culturel différent. Il peut être ethnico-linguistique (Canada, États-Unis, Belgique, Suisse), religieux (Liban, Irak, Irlande, France au XVIe siècle, Soudan), racial (États-Unis, Darfour, Afrique du Sud) ou de mœurs (statut de la femme et des minorités sexuelles). Un même pays peut présenter des conflits culturels, se référant à des paramètres différents : Irak (Kurde-Arabe et chiite-sunnite), France (Corse et différences religieuses et raciales), Espagne (Basque et différences religieuses). Un pays peut passer d’un paramètre à un autre (États-Unis, minorités raciales noires aux minorités linguistiques hispanophones). Pour cela, les conflits culturels doivent être appréhendés dans leur ensemble, selon la grille proposée par Hérodote il y a 2 500 ans : « Il y a le monde grec uni par la langue, le sang, les sanctuaires et les sacrifices qui nous sont communs et nos mœurs qui sont les mêmes » (l’Enquête, Livre VIII, p.144) et reprise par l’article 1er de la Charte de l’Unesco de 1946 qui spécifie : « Les droits de l’homme sans distinction de race, de sexe, de langue et de religion. »

L’idéal serait de pouvoir aboutir à une humanité unie où les droits de l’homme seraient la valeur maîtresse et absolue. Mais l’homme doit vivre également en groupe, les paramètres culturels le structurent dans son groupe et l’aident à faire la séparation entre le monde intérieur et le monde extérieur. Les nations, comme les familles, sont incontournables. Avec la mondialisation, les frontières s’estompent grâce à la technologie, et nous assistons à une perte de repères, qui aboutirait soit à une régression et un repli identitaire, soit à une identification de l’humain à lui-même au-delà des frontières et sans distinction « de race, de sexe, de langue ou de religion ».

La différence culturelle est vécue aujourd’hui soit comme une ouverture (à un niveau individuel), soit comme un péril (à un niveau collectif). Nous avons, en tant qu’êtres humains, un besoin instinctif et affectif de nous identifier, de nous structurer collectivement. Les paramètres identitaires n’ont pas varié depuis Hérodote (le père de l’histoire) jusqu’à la Charte de l’Unesco. L’union se fait toujours selon les mêmes critères, ce sont des mécanismes indispensables qui nous impliquent émotionnellement et nous ancrent dans notre contingence et notre relativité que nous voudrions, au nom de notre instinct de survie et de notre désir d’éternité, ériger en idéologies absolues. Comment désamorcer ce processus mortifère et réconcilier l’homme avec lui-même ? Comment réorganiser, en maintenant son unité, un monde qui s’ouvre sur lui-même sans risquer à tout moment qu’il implose et parte en éclats ?
 
 
D.R.
 
2020-04 / NUMÉRO 166