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Francophonie et Méditerranée
À l’occasion de la Journée internationale de la Francophonie, nous publions dans cette rubrique des extraits de l’intervention d’Alexandre Najjar prononcée à l’Assemblée nationale, à Paris, à l’invitation du Camed.

Par Alexandre Najjar
2009 - 03
La Méditerranée n’est ni une vue de l’esprit ni une coquille vide. C’est une réalité tangible que tous les riverains de cette mère expérimentent depuis des siècles, depuis les Phéniciens qui furent, avant l’heure, de véritables promoteurs du dialogue interculturel. Mais la grande idée d’une Union pour la Méditerranée a besoin, pour prospérer, d’une mise en valeur des dénominateurs communs et des éléments fédérateurs qui rapprochent et unissent les peuples riverains. Or la francophonie apparaît précisément comme l’un des fondements de cette Union, en ce qu’elle touche la plupart des pays méditerranéens et qu’elle contribue à instaurer entre eux un véritable dialogue culturel susceptible de mieux les rassembler.

Disons-le tout de suite : la francophonie n’est ni un avatar du colonialisme ni un instrument d’hégémonie impérialiste. J’en veux pour preuve le Liban où la langue française, qui existait avant le mandat français, a continué à se développer bien après le départ des troupes françaises du Levant. La francophonie est, sur le plan culturel, indispensable pour la construction d’une union méditerranéenne, et ce pour cinq raisons majeures :

1) Elle est tout d’abord un outil de communication entre le Nord et le Sud, puisque la plupart des pays méditerranéens possèdent plus ou moins la langue française. La francophonie y apparaît comme une ouverture permettant une confrontation féconde des idées et comme source d’enrichissement.

2) La francophonie représente également, dans cet espace méditerranéen, une alternative à la globalisation sauvage qui menace les identités de chaque peuple et risque d’engendrer une standardisation culturelle en uniformisant les comportements et les modes de vie. La francophonie a toujours milité pour la diversité culturelle qui est, en quelque sorte, sa raison d’être, et qui a été clairement consacrée par la Déclaration de Cotonou. L’OIF a d’ailleurs activement soutenu, dès le sommet de Beyrouth en 2002, la convention de l’Unesco sur la diversité des expressions culturelles, adoptée le 25 octobre 2005. Pour les pays du Sud, comme pour ceux du Nord, la francophonie, respectueuse des différences et des spécificités de chacun, apparaît ainsi comme un contrepoids face à une mondialisation qui s’appuie sur une langue unique pour imposer une pensée unique.

3) La francophonie est aussi un outil indispensable pour promouvoir, auprès des États méditerranéens du Sud, la culture de la démocratie et celle des libertés publiques, trop souvent foulées aux pieds dans cette région du monde. C’est dans cette perspective que la déclaration de Bamako a appelé au « renforcement des institutions de l’État de droit » au sein de l’espace francophone.

Chaque langue est la fille de son histoire : la langue française, qui connut son siècle des Lumières, est, comme l’affirmait Senghor, « le fondement d’un humanisme » ; elle est porteuse des valeurs républicaines de liberté, d’égalité et de fraternité qui, en se propageant auprès des pays du Sud, peuvent améliorer le quotidien des populations locales, combattre le racisme et dissiper les tensions et les malentendus avec les pays du Nord qui, de leur côté, devraient veiller à mieux respecter eux-mêmes ces valeurs qu’ils exaltent.

4) Sur le plan religieux, source de conflits en Méditerranée, la francophonie peut aussi jouer un rôle non négligeable puisqu’elle permet une meilleure connaissance de l’autre et des religions, et qu’elle offre le modèle d’un État laïc où les citoyens sont censés privilégier leur appartenance nationale par rapport à leur appartenance religieuse ou communautaire. La laïcité, déjà expérimentée par des nations musulmanes comme la Tunisie ou la Turquie, peut, à notre avis, atténuer les extrémismes, rationaliser le statut personnel des citoyens et désamorcer les crises.

5) Sur le plan artistique, enfin, il est évident que la francophonie, en favorisant les échanges entre artistes méditerranéens et une meilleure diffusion de leurs créations, peut contribuer à instaurer un véritable dialogue interculturel entre les peuples riverains. J’en veux pour preuve deux exemples :  L’Orient Littéraire, supplément littéraire en français paraissant à Beyrouth, qui rassemble des écrivains du Nord et du Sud, et les Jeux de la Francophonie que Beyrouth accueillera en septembre 2009 et qui constituent le cadre idéal pour une interaction culturelle entre les nations puisqu’ils réunissent chaque quatre ans de jeunes artistes de tous les pays francophones, appelés à concourir dans sept disciplines différentes. Plus encore que le volet sportif, le volet culturel de ces Jeux montre à quel point l’art est un vecteur de fraternité et d’échanges.

Forte de ces atouts, la francophonie doit être le « cheval de Troie » de l’Union pour la Méditerranée, et non un élément, parmi d’autres, de sa stratégie. Elle doit préparer cette union en rapprochant les peuples méditerranéens qui ont le français en partage, elle doit également la consolider à travers la diffusion des valeurs dont elle est porteuse. (…)

En un mot : point d’Union pour la Méditerranée sans francophonie, et point de francophonie sans une conscience de la France de la responsabilité historique qui pèse sur ses épaules...
 
 
D.R.
 
2020-04 / NUMÉRO 166