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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Et maintenant on va où ?


Par Nagib Aoun
2015 - 06
Mensonges, arrogance, irresponsabilité : le monde arabe se meurt sous les coups de boutoir de monstres adulés, il se désintègre sous le poids de ses infamies, de ses asservissements, de ses silences coupables. Le monde arabe agonise pour la simple raison qu’il a ouvert la voie aux manipulations les plus abjectes, qu’il s’est soumis, dans un état de totale hébétude, à la plus grosse opération de lavage de cerveaux depuis la survenue du nazisme hitlérien de funeste mémoire.

Les monstres engendrent des monstres et de perversions sadiques en contre-barbarie les chemins tortueux se transforment en larges autoroutes vite empruntées par les sauveteurs autoproclamés, messies des temps d’apocalypse. Seuls détenteurs de la vérité, c’est par eux et par eux seuls que passe le salut, la bonne parole dut-elle être délivrée à coups d’obus et de « missiles purificateurs ».

Mensonges, arrogance, irresponsabilité : le Liban, pieds et poings liés, cannibalisé, perd progressivement son âme, laisse ses propres enfants se nourrir de son sang, détruire les dernières barrières qui le protégeaient d’un environnement hostile, viscéralement envieux. Le Liban, privé insidieusement de ses recours institutionnels, se voit dicter les décisions à prendre, se voit entraîner dans une fournaise infernale qui redessine toute la carte régionale.

Puisqu’il faut dire les choses par leur nom, puisque tout silence devient complicité de crime, puisque le mot peut encore faire mouche, dénoncer la bêtise, disloquer la mauvaise foi, rappelons une fois de plus la double imposture dont le pays du Cèdre est victime, un premier mensonge qui dure depuis quinze ans et un second, encore plus grave, parce qu’il embarque le Liban dans la pire des galères, celle du reniement de soi et des bases mêmes de sa survie. Tout cela dans un contexte international qui s’apparente à une troisième guerre mondiale, celle d’un terrorisme transfrontalier, les « combattants du troisième millénaire » étendant leurs tentacules à l’ensemble du globe sur fond d’exacerbation des haines confessionnelles et d’un jihadisme fou qui recrute dans le vaste éventail des opprimés et des miséreux, dans le flot de migrants désespérés confrontés à un terrible choc de cultures.

Le Liban aurait pu échapper à la damnation en cours si le Hezbollah, qui vient de célébrer le quinzième anniversaire de la libération du Sud, en avait tiré les conclusions dès l’an 2000 et remis ses arsenaux à la seule légalité, le contentieux sur les hameaux de Chebaa pouvant être réglé par les instances internationales comme l’avait été celui portant sur la région de Taba en Égypte après la libération du Sinaï.

Mais la Syrie, alors omniprésente au Liban, l’entendait d’une autre oreille tout comme l’Iran qui plaçait déjà ses pions dans la perspective d’une extension progressive de son influence dans la région, l’axe chiite prenant forme de la Syrie à l’Irak à partir d’un Liban soumis à la loi du plus fort, en l’occurrence le Hezbollah. Et au fil des ans le Liban s’est retrouvé entraîné dans de nouvelles secousses sécuritaires, dans des équipées destructrices, la plus importante, en 2006, coûtant au pays toute l’infrastructure mise en place depuis la fin de la guerre civile.

Premier mensonge donc d’une libération dévoyée privée de sa légitimité étatique et voilà que le Hezbollah se lance dans un second mensonge : le lancement d’une véritable croisade contre les jihadistes « là où ils se trouvent en Syrie, là où la nécessité l’impose », alors que l’intention réelle est de préserver le régime tortionnaire de Bachar el-Assad. Ce même régime qui est à l’origine de l’apparition des fous de Dieu, la barbarie étatique conduisant forcément à de contre-barbaries sur fond de massacres collectifs, l’aviation syrienne se déchaînant contre sa propre population à coups de barils d’explosifs, fait unique dans l’histoire contemporaine.

Hassan Nasrallah a fait l’annonce de son implication totale dans la guerre civile syrienne le jour même où il pérorait sur les hauts faits de la Résistance contre Israël, des hauts faits balayés par l’abjection de l’enlisement dans les sables mouvants syriens. Et c’est ainsi que les anciens résistants se voient réduits au statut de simples miliciens contribuant, à leur corps défendant, à l’extension du terrible carnage qui ensanglante les communautés chiite et sunnite. Hassan Nasrallah n’a même pas cillé en proférant ses énormités : de toute évidence les priorités se sont inversées et c’est l’Iran qui fixe les agendas, le Liban dut-il en payer de nouveau le prix, les décisions de guerre ou de paix n’étant plus, depuis fort longtemps, du ressort de l’autorité légitime.

Et maintenant on va où ? : Nadine Labaki dans son film datant de 2011 posait déjà la question sans lui trouver de réponse. Des guerres civiles en Syrie, en Irak, au Yémen et en Libye, une instabilité rampante en Arabie-saoudite, au Bahrein et en Égypte, une discorde sunnito-chiite alimentée par un terrorisme autant d’état que de jihadistes : le tableau tout autour du Liban est pour le moins apocalyptique. Pris en otage, privé de ses institutions fondamentales, entraîné malgré lui dans des conflits qui le dépasse, le Liban en est réduit à retenir son souffle, à espérer que le pire n’est pas nécessairement à venir.

 Et un peu pour oublier, beaucoup pour se prémunir du mauvais sort, les Libanais se lancent dans les festivités d’été comme s’ils balançaient une bouée de sauvetage à la mer. Festivals culturels, concerts prestigieux, salons du livre, spectacles de rue, tout est mis en place pour couvrir les avertissements des pythies. Et il y a aussi le mot, ce verbe flamboyant que les Libanais, seuls dans la région, ont encore la possibilité de jeter à la face des empêcheurs de tourner en rond.
 
 Alors, continuons à festoyer au bord du précipice. Nous en avons une longue habitude et demain, après tout, est un autre jour…
 
 
D.R.
« Les anciens résistants se voient réduits au statut de simples miliciens contribuant à l’extension du carnage qui ensanglante les communautés sunnite et chiite.»
 
2020-04 / NUMÉRO 166