FEUILLETER UN AUTRE NUMÉRO
Mois
Année

2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
CHERCHER SUR LE SITE
 
ILS / ELLES
 
LIVRES
 
IMAGES
 
Au fil des jours...
 
Le point de vue de...
Mahmoud Ahmadinejad vs Alfred Nobel


Par Samir Frangié
2009 - 12
Le régime iranien a confisqué la médaille d’or et le diplôme du prix Nobel de la paix de l’avocate Shirin Ebadi et bloqué son compte bancaire.

La raison invoquée – refus de payer l’impôt – est peu convaincante.

Pourquoi donc cette mesure qui ne peut que porter préjudice à l’image du régime, déjà fortement ébranlée par les élections contestées du 12 juin dernier ?

Est-ce pour sanctionner son action en faveur de la société civile iranienne, notamment à travers son organisation, le « Cercle des défenseurs des droits de l’homme » ? Rappelons qu’au moment de l’attribution du prix, la société civile avait réagi avec beaucoup d’enthousiasme et de fierté : « Le 10 octobre 2003 est un des jours les plus importants de l’histoire contemporaine iranienne » (Dariush Shayegan, écrivain), « Lorsque j’ai entendu la nouvelle, mon cœur s’est arrêté un instant » (Shahla Sherkat, éditrice de l’hebdomadaire Zanan), « Après un quart de siècle d’humiliation, la femme iranienne est de nouveau fière » (Goli Emami, écrivain), « Merci Shirin Ebadi, merci. Aujourd’hui, grâce à vous, nous avons tous grandi d’un mètre ! » (Mohsen Sazegara, dissident, emprisonné pour « propagande contre le régime islamique »…

Ou est-ce pour remettre à sa place une femme qui a eu le privilège d’être la première femme musulmane à recevoir le prix Nobel de la paix qu’elle a remporté parmi 165 candidats, dont le pape Jean Paul II, l’ancien président tchèque Vaclav Havel et le président français, Jacques Chirac, alors qu’elle avait dû, parce que femme, quitter son poste de magistrat – elle avait été en 1974 la première femme à être nommée juge en Iran – quand les cléricaux conservateurs islamistes avaient pris, en 1979, le pouvoir et introduit des restrictions sévères sur le rôle de la femme dans la société ?

Ou est-ce aussi pour la punir, avec beaucoup de retard, pour le rôle-clef qu’elle a joué en 1997 dans l’élection du président réformateur Mohammad Khatami et envoyer, par la même occasion, un message « fort » aux dirigeants de l’opposition qui s’apprêtent à manifester, une nouvelle fois, le 7 décembre prochain ?

Ou est-ce enfin pour signifier au monde entier que la paix à laquelle fait référence le prix attribué à Shirin Ebadi est contraire à la vision binaire du régime iranien pour qui la lutte entre les forces du Bien et celles du Mal est appelée à se poursuivre jusqu’à la fin des temps ?

Comment un régime peut-il assumer de sanctionner un prix Nobel de la paix ?

Dans un monde clos où les seules références sont d’ordre idéologique, tout devient permis dès le moment où il s’agit de défendre des intérêts supérieurs et de réaliser des volontés qui dépassent les hommes.

L’exemple de l’Union soviétique n’est pas loin. Au nom de la défense des intérêts du prolétariat, Boris Pasternak qui avait obtenu le prix Nobel de littérature en 1958 avait été exclu de l’Union des écrivains et contraint à refuser le prix. 12 ans plus tard, en 1970, Alexandre Soljénitsyne qui avait reçu et accepté le prix avait été, lui, banni du pays. Bien plus tard, en 1990, Mikhaïl Gorbatchev avait obtenu et accepté un Nobel, celui de la paix, mais les temps avaient changé et l’homme qui le recevait avait provoqué la chute du communisme.

Pour les idéologues de Téhéran, un prix Nobel de la paix représente un danger certain. D’autant que l’homme qui aujourd’hui s’oppose à la réalisation de leur grand dessein messianique vient tout juste de le recevoir. Barack Obama est extrêmement dangereux, car le prix qu’il a reçu ne vient pas couronner une carrière au service de la paix, mais est plutôt une incitation à œuvrer pour la paix. Et cette paix devrait commencer, comme l’a indiqué le président américain dans son discours du Caire (4 juin 2009), par le règlement du plus long conflit de l’histoire contemporaine, le conflit israélo-arabe, règlement qui ôterait au régime iranien le peu de légitimité populaire qui lui reste.

À défaut de pouvoir continuer à diriger ses missiles vers Israël, il lui faut désormais les orienter vers la Norvège qui représente pour lui un danger beaucoup plus réel, le danger d’une paix qui ne peut se faire qu’à ses dépens.
 
 
D.R.
 
2020-04 / NUMÉRO 166