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Retour sur le 1er septembre 1920


Par Bahjat Rizk
2013 - 09
Toujours début septembre de chaque année, j’ai une pensée pour le 1er septembre 1920, date de la déclaration du Grand Liban dans ses frontières actuelles. C’est une date fondatrice mais qui, pour plusieurs raisons, est souvent occultée. La date officielle adoptée de notre fête nationale, dont nous célébrons cette année le 70e anniversaire, est celle du 22 novembre, jour du soulèvement symbolique (et finalement peu sanglant) contre le mandat français, qui a duré moins d’un quart de siècle et qui nous a permis de construire notre système politique (Constitution de 1926), largement inspiré par la Constitution de la IIIe République française (1870-1940). Le 22 novembre a mis surtout en avant l’union nationale libanaise transcommunautaire.

Notre système républicain et pluricommunautaire est le fruit de la rencontre de l’expérience pluraliste et avant-gardiste de l’émirat du Mont-Liban (1516-1842), de la quasi-autonomie du caïmacamiyat (1842-1860), de la moutassarrifiya (1860-1920), de la fondation de la République libanaise parlementaire sous le mandat français(1926) et de son indépendance au milieu du siècle dernier (1943). D’une certaine manière, le 1er septembre 1920 ouvre également la voie à un rattachement à la modernité et aux valeurs démocratiques parlementaires, à travers la mise en place progressive des institutions politiques. Le court mandat français (entre les deux grandes guerres mondiales) n’aura été qu’une période de transition. Les passages à Beyrouth du plus illustre des Français, le général de Gaulle, et ses multiples déclarations demeurent un témoignage vivant de cette relation plus que positive. Le pacte national de 1943 est venu un peu plus tard dans l’esprit, consacrer l’entente islamo-chrétienne autour de valeurs communes sur le sol libanais. Le pluralisme culturel s’est traduit par un pluralisme politique qui a certes maintenu une ambiguïté institutionnelle, mais nous a épargné la tentation des dictatures unilatérales.

Il me semble important d’établir cette continuité historique et cumulative entre l’émirat, la moutassarrifiya, le mandat et l’indépendance du Liban. L’histoire constructive est celle qui retrouve sur la durée un fil conducteur. Malgré les épreuves, les traumatismes et les ruptures, une entité doit s’inscrire dans une continuité rationnelle (temporelle et spatiale) cohérente et assumée.

L’intérêt du 1er septembre 1920 est qu’il délimite un territoire avec de nouvelles frontières, internationalement reconnues. Il s’agit bien sûr de savoir si ce territoire est habité par un esprit commun national, et si nous avons pu établir et élaborer une culture libanaise spécifique et singulière, que nous avons en partage, différente de celle des pays alentour, tout en étant insérée dans notre environnement. 

Certes, la difficulté du Liban a été de faire coïncider les institutions républicaines et les institutions communautaires, une logique de l’unité et de la diversité. En presque un siècle, ce pays a produit sa propre culture, avec des acquis très importants au niveau des libertés individuelles et des libertés des groupes. Cette expérience a également engendré des frustrations, des interférences et des ruptures. Elle n’est toujours pas résolue, ni conceptualisée. Elle met encore plus en avant la difficulté d’aménager à un niveau politique le pluralisme culturel. Cette ambivalence ne peut être surmontée de manière concrète qu’en définissant le pluralisme culturel à travers des paramètres identitaires objectifs, et en dégageant une plateforme assez solide d’éléments structurels communs. Comme tout édifice, la construction identitaire a besoin de piliers et d’un socle. Presque un siècle après sa déclaration, les décideurs libanais doivent se retrouver autour de principes fondateurs. En prenant conscience que l’espace de débat devrait être national et non régional ou international. C’est cet espace défini le 1er septembre 1920 sur lequel ils doivent se concentrer, pour cesser d’être un État tampon et devenir véritablement, si possible, un État-nation.
 
 
D.R.
« Le court mandat français (entre les deux grandes guerres mondiales) n’aura été qu’une période de transition. »
 
2020-04 / NUMÉRO 166