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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Un rêve qui fut réalité


Par Fifi ABOU DIB
2013 - 12
Homme de théâtre, politologue, traducteur, Nabil el Azan est aussi un poète doublé d’un metteur en scène passionnément engagé dans l’échange sinon la fusion des cultures. Son nouvel opus édité par La Revue Phénicienne est la biographie d’une figure indissociable du Festival de Baalbeck dont elle fut la présidente pendant près de quarante ans et l’inlassable cheville ouvrière depuis sa création en 1956. Le titre, May Arida, le rêve de Baalbeck, annonce déjà un récit onirique que vient souligner un sous-titre intriguant : Conte biographique. Le portrait de May Arida en couverture, enveloppée dans un boa de plumes blanches, accoudée à un pilier du temple du Soleil et nimbée d’une lumière quasi surnaturelle, parachève l’impression délicieuse d’entrer dans le temps d’une fiction régressive, une époque de princes et de fées. On ne sera pas déçu, l’écriture est belle et l’histoire captivante.

Puisque mise en scène il y a, l’auteur met en scène May Arida, à l’arrière de sa voiture conduite par son fidèle Mhammad, un mois d’avril non loin de nous. Elle se rend à Baalbeck. L’occasion de lui faire dévider le fil de ses souvenirs sur cette route où des fantômes prestigieux semblent lui faire une haie d’honneur. Quand Mme Arida demande à Mhammad de s’arrêter, c’est aussi pour arrêter le temps. Elle raconte son enfance de garçon manqué, à l’ombre d’un père gynécologue, originaire de Hamet, ayant fait sa spécialisation en obstétrique à l’université de Columbia, New York, au début du siècle dernier. Un libéral paradoxalement sévère et exigeant, qui donna très tôt à sa fille le goût de l’audace et du dépassement de soi. On traverse des villes et des villages. Bhamdoun que la guerre a meurtrie et où le général Catroux, partisan efficace de l’indépendance du Liban, et son épouse Marguerite passaient l’été à l’hôtel Chkif, dans les années 40. Marguerite Catroux aura une influence profonde et durable sur la personnalité de la jeune May récemment mariée à Ibrahim Sursock. La suite est un enchaînement de rencontres et de relations favorisées par un milieu familial privilégié. Ce n’est pas rien d’avoir eu pour premier « job » le poste de secrétaire – gardienne du secret – du général Edward Spears, ministre plénipotentiaire de sa Majesté en Syrie et au Liban en 1943, année pivot comme chacun sait. Ce n’est pas rien, non plus, d’avoir assisté au défilé historique où Christian Dior lança son New Look. Accueillie à Londres, en 1947, avec son mari de l’époque, par le couple Chamoun (Zalfa est sa cousine) à l’arrivée d’un voyage tumultueux, May Arida écoute Camille Chamoun parler de ses ambitions présidentielles et de son désir de « faire quelque chose pour l’Acropole de Baalbeck » s’il était élu. 

Chamoun sera président. Azan multiplie les parenthèses historiques qui font de cette « biographie » un support idéal pour expliquer l’histoire ancienne et contemporaine du Liban telle que la vit, la voit et la subit son héroïne. Chamoun a l’intelligence de faire confiance à la société civile qu’il met à contribution pour animer la vie culturelle du pays et notamment le festival de Baalbeck dont la première édition est réalisée comme un miracle, improvisée en quelques semaines. Membre des Jeunesses musicales libanaises, un club regroupant musiciens et mélomanes, May Arida est chargée par le président de la section musique de ce projet qu’il voyait « pluridisciplinaire, avec musique classique, jazz, opéra, ballet, théâtre français, anglais et arabe et folklore libanais ». Commence alors une période qui justifie le titre et le sous-titre de cette biographie : un rêve éveillé où se succèdent les rencontres avec les plus grands artistes du XXe siècle et où les profondes émotions de l’art se mêlent à l’émotion au moins aussi vibrante de l’amitié, dans l’environnement et les monuments sublimes de Baalbeck et du Liban. Comment résister à l’évocation de cette scène bouleversante à la fin de la première partie, où les deux maestros Richter et Rostropovitch, les spectateurs partis, reprennent leurs instruments et jouent encore jusqu’au bout de la nuit, « l’un pour l’autre, pour Baalbeck, pour les dieux, pour la nuit immense » ? Ce « conte », il était une fois une femme, il était une fois le Liban, retrace des années de grâce. Les moins de… 40 ans auront du mal à y croire. La guerre ayant défait la magie, il en reste au moins le souvenir.


 
 
 
BIBLIOGRAPHIE
May Arida, Le rêve de Baalbeck de Nabil el Azan, Éditions de la Revue Phénicienne, 2013, 159 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166