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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Biographie



Par Mahmoud HARB
2011 - 01
Abbas Beydoun écrit son autobiographie comme un passant sourit à une belle inconnue. Sans objectif apparent, juste pour le plaisir. Pour le plaisir de jeter un coup d’œil en arrière simplement pour partager en racontant, sans amertume, sans regret, sans volonté de règlement de comptes avec soi-même ou avec les autres, sans arrière-pensées, sans velléités thérapeutiques ou cantiques d’autoglorification, des bribes du chemin parcouru.

Dans ses Miroirs de Frankenstein, le poète, journaliste et chef du service culturel du quotidien as-Safir, se donne rendez-vous à lui-même. Comme un pêcheur à la ligne, il jette l’hameçon de l’écriture dans les profondeurs du vécu et laisse remonter jusqu’à lui, doucement, des souvenirs encore tremblotants de vie. Des images, des sentiments, des visages, des villes, des prénoms, des impressions, des plaisirs, des sentiments, des terreurs qu’il dépeint dans une prose dénudée, pure, à la fois minimaliste et saisissante, comparable à celle de Yasunari Kawabata. Une prose édifiante, innovatrice qui insuffle une âme nouvelle à l’arabe en saupoudrant la rigueur de la langue écrite d’un peu de la malléabilité du dialecte parlé.

De cette narration à la fois fluide et discontinue, hachée, naissent une douzaine de textes relativement brefs et enivrants qui rappellent le Livre de l’intranquillité de Fernando Pessoa. D’autant plus que Les miroirs de Frankenstein ne répondent à aucune structure chronologique ou thématique figée. Les textes suivent simplement le fil du souvenir et chacun se transforme en miroir, devient une psyché qui reflète un fragment de l’auteur. Chaque épisode révèle une parcelle d’une mémoire, d’une identité morcelée. Le premier affrontement de Abbas Beydoun avec sa voix, une voix «?étrangère, ridicule et bâtarde?» qui «?semblait agresser et déformer (ses) mots?» et qu’il enregistra et écouta sur un magnétophone à treize ans, conduit l’auteur à évoquer sa relation conflictuelle avec son corps et son apparence. Le récit de sa première soirée du Nouvel An l’amène à décrire ses rapports ainsi que ceux de toute sa génération de gauchistes aux coutumes, aux loisirs, à l’amour, au mariage, et la transformation de ces rapports avec l’écoulement corrosif des années. Sa description d’un chien errant tapi au pied d’un mur révèle son désarroi face à la violence inouïe des rapports entre ruraux et citadins à Tyr dans les années 1960 et à l’oppression des désirs sexuels évacués par l’onanisme.

Et ainsi de suite. Tout y passe ou presque, la lecture, l’insomnie – ce sommeil blanc –, la culture, le chocolat, l’éducation, les femmes – voilées ou pas –, les parents, la famille, la maladresse, la dépression, Paris, Beyrouth, Tyr, l’amitié, la pensée comme faculté, la peur de la folie, l’exil, la religion, l’engagement politique, le militantisme trotskyste, etc. Autant de fragments glanés dans les quatre coins de la mémoire et qui, rassemblés, forment un tout hétéroclite et uni, un mélange composite et complexe auquel Abbas Beydoun s’identifie en se qualifiant de «?Frankenstein de moi-même, terreur intime de mon propre être?». Un Frankenstein serein mais pas résigné, qui sait sourire de lui-même et des autres, et dans la mémoire duquel il fait bon plonger.

 
 
 
BIBLIOGRAPHIE
Les miroirs de Frankenstein (Maraya Frankenstein) de Abbas Beydoun, Dar al-Saqi, 155 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166