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Par Josyane Savigneau
2015 - 04
Bien que beaucoup de Français aient appris à l'école le fameux «?France mère des arts, des armes et des lois?» de Joachim du Bellay (1522-1560), ils savent que la «?mère des arts?» est plutôt l'Italie. Ainsi en 2011, Yannick Haenel, dont le dernier roman, Ian Karski (Gallimard, 2009) avait eu du succès, obtenu le prix Interallié et suscité une polémique avec Claude Lanzmann, décide de s'installer à Florence, avec son épouse, Barbara, qui est italienne.

Pendant ce séjour, il écrira un autre roman, Les renards pâles (Gallimard, 2013), désormais en poche («?Folio?»), et aussi ce livre qui vient de paraître, Je cherche l'Italie, qui n'est pas un journal de bord de ses années italiennes – il s'est réinstallé en France à l'automne 2014 –, mais ce qu'on pourrait définir comme une expérience d'Italie.

Quand il arrive à Florence, un matin de janvier, il pleut très fort, mais il est heureux, car il se sent dans une ville «?qui est elle-même un œuvre d'art?». «?J'attendais tout de l'Italie, écrit-il. Des aventures et du repos?; des sensations de feu?; de l'apaisement. Je désirais une vie large et bleue, loin des angles morts de la France. Je n'avais absolument aucun but?: juste du temps, et une soif immense d'églises, de fresques, de sculptures?; comme le narrateur dans Proust, je brûlais d'“inscrire les dômes et les tours dans le plan de ma propre vie”».

Et, en effet Yannick Haenel ne s'est pas contenté de chercher l'Italie, il l'a trouvée. Et il entraîne son lecteur, avec le style lumineux qui est le sien, dans son voyage et sa réflexion. Il regarde, il admire, il lit aussi. Tout Georges Bataille, et aussi Hegel et Kojève. Mais l'Italie du XXIe siècle n'est pas totalement le pays de ses rêves. À son arrivée, Berlusconi est encore au pouvoir, «?impossible d'oublier sa tête?», «?on ne voyait qu'elle?». Il a le sentiment d'un pays où «?la politique est morte?», où sa déambulation littéraire et artistique ne peut faire oublier la vulgarité de l'homme au pouvoir. Ni la tragédie quotidienne des migrants, à Lampedusa. Une nuit, plus de trois cents d'entre eux sont morts dans le naufrage d'une embarcation qui venait de Libye. «?On a retrouvé, parmi eux, le cadavre d'une mère et de son nouveau-né encore accroché à elle par le cordon ombilical.?» «?Un tel supplice échappe aux critères?; il rejette l'idée même d'humanité.?»

La réalité ne ressemble pas à l'Italie de l'apaisement que souhaitait Haenel, mais heureusement, les beaux moments ne sont pas totalement effacés. «?Voici une autre de mes aventures, sans doute la plus importante, celle qui m'a sorti de la crise?», écrit-il, au chapitre 20, l'un des plus beaux de ce livre. C'est l'expérience qu'il fait au couvent San Marco de Florence, où il se rend souvent, en regardant avec attention L'Annonciation de Fra Angelico. Un jour où il venait de nouveau revoir ce tableau, il y a eu une panne d'électricité et tout est apparu «?sous un jour nouveau?». La sensation ressentie par Haenel est magnifiquement décrite. On n'a qu'une envie?: aller un jour au couvent San Marco admirer L'Annonciation de Fra Angelico, en priant pour qu'il y ait une panne d'électricité.


 
 
© Jean-Baptiste Millot / Gallimard
« J'attendais tout de l'Italie. Des sensations de feu ; de l'apaisement. Loin des angles morts de la France. »
 
BIBLIOGRAPHIE
Je cherche l'Italie de Yannick Haenel, Gallimard, 2015, 200 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166