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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Chroniques
Sollers en explorateur de Vénus


Par Alexandre NAJJAR
2013 - 03
Dans Femmes, déjà, Philippe Sollers avait minutieusement exploré la planète Vénus : « Le monde appartient aux femmes, écrivait-il déjà, il n’y a que des femmes, et depuis toujours elles le savent et elles ne le savent pas, elles ne peuvent pas le savoir vraiment, elles le sentent, elles le pressentent, ça s’organise comme ça. » Trente ans après, il récidive et nous offre Portraits de femmes, un récit très personnel, sensible, passionné et pudique à la fois. On y découvre sa mère, ses sœurs, ses tantes, Eugenia, son initiatrice basque (beaucoup d’autres étrangères traverseront sa vie !), « des amours nécessaires et des amours contingentes » (selon la distinction de Sartre) et, surtout, deux femmes remarquables : son amour secret, Dominique Rolin – qui, en 1988, publia Trente ans d’amour fou, l’histoire d’une passion féconde entre « Jim » et « Dominique », et qui, lors d’une émission télévisée, répondit « oui » à la question de Bernard Pivot : « Le Jim de vos livres, c’est bien Sollers ? » –, et la philosophe et psychanalyste Julia Kristeva – son épouse depuis quarante ans et la mère de son fils, David, qui fait quelques apparitions dans le livre. Belles, brillantes, ces deux écrivaines ont nourri son inspiration. En elles, il a trouvé sa richesse (« Aimer, c’est trouver sa richesse hors de soi », écrivait Alain). Les portraits saisissants que brosse Sollers sont subtils, sincères, bouleversants – notamment lorsque l’auteur aborde avec pudeur la maladie de Dominique. Par petites touches, avec beaucoup de spiritualité et un brin d’humour, il nous fait découvrir ses égéries, mais aussi sa propre intimité. Il converse avec le lecteur, extrapole et se lance dans des considérations sur le sentiment amoureux, le couple, le mariage, les femmes affranchies, la fidélité ou la voix (« Entre une très jolie femme à la mauvaise voix, et une femme sans beauté apparente à la voix mélodieuse, je choisis tout de suite la deuxième » !) – exercice où il excelle et qui donne lieu à des réflexions troublantes : « En réalité, l’amour dure toujours, il faut simplement mieux définir ce toujours. D’une façon ou d’une autre, visible ou invisible, vous sacralisez quelqu’un dans son existence entière, sa respiration et sa mort. L’amour, s’il a lieu, est plus fort que la mort. Dans l’amour, quoi qu’il arrive, même aux confins de l’horreur ou de la démence, vous touchez du doigt la défaite de la mort. » Pour discutables qu’elles soient, ses « théories » font toujours mouche : « L’amitié amoureuse existe, elle est exceptionnelle, mais indestructible », ou encore : « Faites-vous aimer comme un enfant, espèce d’homme ! » Mais Sollers ne s’arrête pas là : non content d’évoquer les femmes de sa vie, il convoque aussi des femmes connues (« la sorcière Duras », Elsa Triolet, Glenn Close), des femmes de l’ombre (les infirmières et, dans un tout autre registre, les prostituées) et les femmes de l’histoire : Charlotte Corday, Manon Roland, la comtesse du Barry, Berthe Morisot et Cléopâtre, « étoile d’Orient, étoile des amants », qui fait l’objet d’un chapitre entier, écrit avec enthousiasme et poésie. On pourra toujours regretter, en refermant ce livre, l’accumulation lassante de citations (Baudelaire, Shakespeare…) et un certain nombrilisme qui amène l’auteur à contempler son œuvre. Mais Portraits de femmes n’en reste pas moins édifiant. Et Sollers est Sollers.


 
 
D.R.
« En réalité, l’amour dure toujours, il faut simplement mieux définir ce toujours. D’une façon ou d’une autre, visible ou invisible, vous sacralisez quelqu’un. »
 
BIBLIOGRAPHIE
Portraits de Femmes de Philippe Sollers, Flammarion, 2013, 156 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166