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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Portrait
Patti Smith, clocharde céleste et fan de café
L'enfant terrible du rock américain, anti rock-star, privilégie de plus en plus la littérature.

Par Jean-Claude Perrier
2016 - 05

Lorsque Patti Smith vient à Paris – son premier voyage en France remonte à 1969, sur les traces d'Arthur Rimbaud, son dieu, sa source d'inspiration première –, ne la cherchez pas sur la Rive droite, dans les grands hôtels des Champs-Elysées, les boutiques fashion du faubourg Saint-Honoré, ou les clubs bling-bling. Elle habite Saint-Germain-des-Prés, court les librairies et les musées et ne manque jamais de se rendre, comme en pèlerinage, sur la tombe de Jim Morrison, son idole, au cimetière du Père-Lachaise. Lui aussi, vers la fin de sa vie, lassé des Doors et de la gloire, se rêvait plus en poète qu'en chanteur.

On la trouve tous les matins dans un coin du Café de Flore, en train de lire, d'écrire, de rêver, buvant un café noir, accompagné d'une tranche de pain de seigle et d'un peu d'huile d'olive. Ce régime quasiment-méditerranéen, dit « crétois », serait-il la source de cette énergie créatrice qui la porte, de cette seconde jeunesse qu'elle se plaît à savourer ? À 70 ans (à la fin de l'année), on a l'impression que Patti Smith a envie de rattraper le temps, non point « perdu », car elle a mené, depuis 1975 et son premier album, Horses, une carrière exemplaire d'auteur-compositeur-interprète, celébrée, admirée, respectée. Mais de consacrer le temps qui lui reste à autre chose, autrement plus essentiel à ses yeux : la littérature.

Après Leonard Cohen, Bob Dylan, Jim Morrison, donc, ou encore Nick Cave, Patti Smith, artiste « intello », marquée pour toujours par l'avant-garde du New-York des années 70 – cette ville où elle vit encore aujourd'hui, seule, où toutes les disciplines artistiques se mêlaient, avait bien publié quelques livres, dans les années 90. Mais le véritable démarrage de sa seconde carrière, c'est Just Kids, paru aux États-Unis en 2010 (traduit en France chez Denoël, puis repris en « folio »), un magnifique récit autobiographique où elle racontait son histoire avec le photographe Robert Mapplethorpe, son amour de jeunesse, mort du sida en 1989. Le livre était bouleversant, remporta le National Book Award, et connut un succès international. Ensuite, il y eut Glaneurs de rêves (Gallimard, 2014), illustré de polaroïds, un autre de ses talents – elle dessine et peint également –, un bref recueil de souvenirs, comme autant d'instantanés resurgis du passé. 
C'est un peu la même veine qu'elle explore à nouveau avec M Train, également scandé par ses photos en noir et blanc. Une sorte de boîte à mémoire, mais sous un angle original : les cafés où elle passe le plus clair de son temps. C'est là qu'elle se réfugie, dans un relatif anonymat. Pour Patti Smith, qui ne se considère pas comme une rock star et n'a jamais voulu vivre comme telle, se promène à pied dans les rues et bavarde volontiers – à force de lire nos poètes, Nerval, Rimbaud, dans le texte, elle comprend bien le français, le parle même un peu – avec les fans qui la reconnaissent, la gloire qui lui est échue serait presque un malentendu ! C'est dans les cafés qu'elle travaille, notant tout ce qui lui passe sous la plume, et qui finira par donner quelque chose. Ou pas. « Ce n'est pas facile d'écrire sur rien », prévient-elle au début de son livre. Mais il est des « riens » qui font sens, associés à des lieux qui marquent. Comme ce café 'Ino, son favori, situé juste en face de son appartement de bohémienne, à Greenwich Village, qui a fermé et à qui elle dédie une espèce de requiem. Ou encore cette maison délabrée qu'elle a achetée à Ocean Beach, et qui essuya, juste après, une sacrée tempête. Elle s'en est remise. Comme sa propriétaire, dont la vie a connu bien des aventures, et aussi des deuils : Mapplethorpe, donc, puis tous « ses » hommes : son père Grant, un ouvrier modeste et pieux, le guitariste Fred « Sonic » Smith, son mari et le père de ses deux enfants, mort subitement en 1994, un mois à peine avant Todd, son frère chéri… 

« Maintenant, je suis plus vieille que mon amour, que mes amis défunts », confie Patti Smith, tendre et émouvante. La littérature, surtout comme elle la pratique, spontanée, personnelle, peut aider à vivre. Même modestement. « Tous les écrivains sont des clochards, écrit-elle. Puissé-je un jour être comptée parmi vous. » Voeu exaucé : Patti Smith, clocharde céleste et fan de café.

 
M Train de Patti Smith, traduit de l'anglais (États-Unis) par Nicolas Richard, Gallimard, 2016, 264 p.

 
 
 
© Gasper Triangle
« Maintenant, je suis plus vieille que mon amour, que mes amis défunts. »
 
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