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Portrait

Romancier et peintre, Ramzi T. Salamé vient de publier un ouvrage passionnant ayant pour toile de fond la Première Guerre mondiale au Liban. Rencontre avec un écrivain atypique et passionné. 

Par Alexandre Najjar
2015 - 07
Quand on pénètre dans la demeure de Ramzi Toufic Salamé à Broumana, on se retrouve dans un de ces hôtels charmants où, au siècle dernier, les familles libanaises s’en venaient « estiver » pour fuir les chaleurs de la capitale. Vingt-six chambres, de vastes salons, des caves voûtées, un restaurant et un pub se côtoient dans ce lieu fascinant flanqué d’arbres centenaires. Salamé est un esthète : une immense bibliothèque témoigne de son amour des livres ; les toiles qui ornent les murs attestent de son talent de peintre. À la manière de Gibran et de Blake, il cultive deux passions : l’écriture et la peinture. C’est aussi un grand nostalgique : cette maison historique, avec ses façades en pierre de taille et ses meubles antiques, de même que les tableaux représentant des édifices anciens et le petit « musée » qui réunit toutes sortes d’objets traditionnels, dont une soixantaine de mortiers (« jorn »), prouvent bien son attachement viscéral au patrimoine libanais. Dans une pièce de cette demeure, on découvre même, avec stupeur, un vieux siège de coiffeur avec tout l’attirail qui l’accompagne. « Le salon de coiffure où je me rendais depuis l’enfance a fermé ses portes, raconte-t-il. Je me suis empressé d’en racheter tout l’équipement pour l’installer chez moi ! Désormais, je me fais couper les cheveux à domicile, entouré des objets familiers qui se trouvaient chez mon coiffeur… » Fétichisme, attachement au passé ? L’homme est surprenant à plus d’un égard. Après des études au collège Notre-Dame de Jamhour (promo 72), ce fils d’un émigré ayant fait fortune au Libéria décroche un diplôme en droit de l’Université Libanaise et un autre en management de l’Université Américaine de Beyrouth, et se lance dans le monde des affaires. Il gère plusieurs restaurants et pubs ; pendant la guerre, il a l’intuition de vendre à la télévision libanaise la série Goldorak (Grendizer) et d’en distribuer les figurines sur le marché local. « Ce fut un succès phénoménal, se souvient-il. Nous avons même produit la version en arabe de la chanson du générique : elle est devenue mythique ! » Parallèlement à ses activités commerciales, Ramzi T. Salamé se passionne pour les mots. Après Le prince des cyniques (Buchet-Chastel/FMA, 1999), Trésors (FMA, 2003), La pierre m’a parlé (L’Harmattan : FMA, 2005), La caste supérieure (L’Harmattan/FMA ; 2007) et La République des paysans (L’Harmattan/FMA, 2011) – qui raconte l’histoire de la révolution menée par Tanios Chahine et qui, dans sa version arabe (publiée par les éditions Sa’er al-Mashreq) a fait un tabac dans les écoles –, il vient de signer un roman bouleversant, Les rescapés, qui nous plonge dans le Liban de la Grande Guerre. Fort bien documenté, ce livre est l’un des rares à traiter de cette époque douloureuse qui connut blocus, famine, invasion de sauterelles, pendaisons et massacres. Sans jamais minimiser le rôle néfaste joué par les Turcs, il nous révèle les effets dévastateurs du blocus imposé par les Alliés : « Les Britanniques ont empêché l’arrivée au Mont-Liban de deux navires chargés de vivres envoyés des États-Unis par les émigrés libanais ! » déplore-t-il. Bien qu’il s’agisse d’une fiction, le lecteur s’instruit en suivant le parcours du jeune avocat Boulos et découvre avec amertume la face obscure des hommes. « Dans tous mes livres, affirme l’auteur, je critique la nature humaine. Égoïsme, cupidité, volonté de domination, soif de pouvoir, cynisme… sont des travers que je dénonce avec vigueur. Il existe toutefois, fort heureusement, des hommes de bonne volonté qui, par leurs actions et leur dévouement, sauvent l’humanité. » Dans son roman, face à Jamal Pacha le Sanguinaire, face aux spéculateurs sans scrupules, se dressent des personnages intègres et patriotes, lumières d’espoir au milieu de cette tragédie qui coûta la vie à la moitié de la population du Mont-Liban. « Je me suis beaucoup documenté sur cette période, déclare Ramzi T. Salamé. Quoique cruciale, elle n’a pas fait l’objet d’une littérature importante, excepté Le pain de Toufic Youssef Aouad. J’ai voulu, à travers mon livre, dissiper certaines idées reçues et rétablir la vérité. » L’ouvrage, qui sera bientôt traduit en arabe aux éditions Sa’er al-Mashreq, constitue une contribution romanesque essentielle à l’histoire de la Grande Guerre dont on commémore le centenaire. À côté des « Poilus », justement célébrés en France, il faudra désormais réserver une place aux « Rescapés » !




 
 
D.R.
 
BIBLIOGRAPHIE
Les rescapés de Ramzi T. Salamé, L’Harmattan, 2015, 285 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166