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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Jean d’Ormesson, une ode à la vie et à Dieu
Hommage affectif et intellectuel à Dieu, à l’univers et aux ressources de la pensée humaine, discours sur l’âge et le temps, Comme un chant d’espérance est surtout une déclaration de foi assumée, jamais désuète ou mièvre, qui résonne aussi comme une déclaration d’amour à la vie.

Par Ritta Baddoura
2014 - 08
Dieu est un thème de prédilection dans l’œuvre et la pensée de Jean d’Ormesson. L’auteur en fait le sujet, l’objet et le fil rouge de son dernier ouvrage Comme un chant d’espérance. Ce livre traverse les époques et les âges de l’univers habité par l’évidence d’une existence éphémère. Le temps est, avec Dieu, l’homme, le rien, le hasard, les nécessités et la lumière, l’un des protagonistes de l’ouvrage. Dans ce livre-pensée sur l’être du monde, depuis son apparition jusqu’à sa disparition annoncée dans quelques milliards d’années, liant originalement parcours de vie, littérature, philosophie, arts, sciences, histoire, textes sacrés et théodicée ; Jean d’Ormesson tente pour parler de Dieu, de s’abstraire, tout en y puisant métaphores et oxymores, du monde sensible et du temps qui enferment et ravissent l’homme.

Né à Paris en 1925, ce normalien et agrégé de philosophie est venu à la littérature par hasard, ou par nécessité. C’est selon. Passé le cap des trente ans, il écrit son premier livre pour tenter de conquérir une fille. Ce fut peine perdue et le début d’une grande aventure littéraire. Auteur prolixe ayant signé plus d’une quarantaine de romans et d’essais, Jean d’Ormesson se qualifie volontiers de machine à écrire mais insiste sur sa volonté de préserver son inspiration du carcan de la routine. Discipliné (il consacre un tiers de sa journée au travail, un tiers aux autres et un tiers au sommeil), Jean d’O peut écrire n’importe où pourvu que le calme règne. Il n’a pas l’angoisse de la page blanche mais celle de la page écrite qu’il est tenté de corriger indéfiniment. Une fois un ouvrage paru, l’angoisse cède la place à une sorte de « book blues » mais très vite un germe d’ouvrage à venir l’interpelle. Perfectionniste à l’extrême de la ponctuation et de la typographie, l’auteur écrit à la main ses manuscrits et les fait taper ensuite.

Jean d’Ormesson connaît son premier succès avec La gloire de l’Empire paru en 1971 et qui remporte le Grand prix du Roman de l’Académie française. Deux ans plus tard, l’auteur est élu sous la Coupole. Il fera campagne pour y soutenir l’admission des femmes et son positionnement fera date : Marguerite Yourcenar sera la première académicienne en 1980. Jean d’Ormesson a su pendant des années mener de front son travail d’écriture, sa carrière politique (Unesco, Ministères, Assemblée générale des Nations unies) et son parcours journalistique (rédaction en chef de la revue spécialisée en sciences humaines Diogène et direction du Figaro). Ses prises de position controversées et son personnage à la croisée inédite du XVIIIe et du XXIe siècle, lui ont valu notamment d’être célébré par un tatouage sur l’épaule de Julien Doré et critiqué pour ses opinions sur la guerre du Viêt-Nam dans Un air de liberté de Jean Ferrat.

Entretenant son aura médiatique et populaire toutes générations confondues, Jean d’Ormesson « a le sens de l’humour, de la repartie et de la formule. Il a un mode d’expression assez moderne tout en incarnant l’éminence très classique d’un esprit à la française » confie Héloïse d’Ormesson, sa fille et éditrice dans un article paru en juillet dernier dans Libération et signé Céline Walter. Si les années ont adouci les angles et les humeurs de son parler, Jean d’Ormesson n’a rien perdu de son esprit combatif, érudit et élégant. Suite à des mois de lutte contre un cancer de la vessie en 2013, l’auteur en sort non seulement vainqueur mais avec un manuscrit finalisé en main, celui de son avant-dernier ouvrage : Un jour je m’en irai sans en avoir tout dit. Et quand Antoine Gallimard lui propose récemment d’entrer dans « La Pléiade », d’Ormesson ne manque pas de lui rappeler qu’il n’est pas encore mort. L’éditeur lui répond que « que ça pouvait encore s’arranger ! D’ici deux ans peut-être ». « La Pléiade » devra assurément attendre davantage.

Dans Comme un chant d’espérance, d’Ormesson puise dans les arguments de l’objectivité et de la subjectivité, de l’observation, de la précision et de la fiction, de l’espérance et de la désespérance, du vécu personnel et de l’universel, pour cheminer de page en page vers une intuition qui est pour lui une conviction : Dieu existe et l’humanité et l’univers en font partie. Pleine d’entrain et espiègle, sa pensée entraîne le lecteur dans une promenade dans l’histoire de l’univers, au gré de moult théories scientifiques, de sagesses bibliques et de lois secrètes qui président au destin des hommes. Jean d’Ormesson n’hésite pas d’une certaine manière à refaire le monde, « parce que Dieu a confié à l’homme le tout tiré du rien pour qu’il en fasse un monde. (…) Avec ses sens et sa pensée, l’homme crée une seconde fois le monde tiré par Dieu du néant infini et de l’éternité du rien. »

Dans un beau prologue tant romanesque que pédagogique qui donne le ton et les thèmes dont les chapitres suivants semblent être les variations, Jean d’Ormesson présente le choix qu’il assume, qui est de se faire le traducteur « dans la langue de notre monde et de notre vie », de cet autre chose ou de ce rien situé avant la naissance de l’univers et après la mort, en se gardant « d’oublier que toute traduction est toujours une trahison – et le plus souvent une erreur, une faute ou un délire ». Pour emprunter à l’auteur sa tolérance aux vertus de l’erreur : Traduction = essai romanesque ; Rien + Tout = Rien = Tout = Éternité = Autre chose = Dieu. Il était une fois donc l’univers puis ses créatures, puis l’homme, primate doté de pensée, de langage et étonnamment perméable au mal. D’Ormesson énumère les murs infranchissables qui se dressent face au désir humain de détenir la connaissance de toute-chose : il traite du mur de Planck et du mur de la mort auxquels s’ajoute parfois le mur de l’orgueil qui tend à faire de l’homme le centre et la mesure de toute chose.

Face à la toute-puissance humaine, intellectuelle, conquérante ou narcissique, l’auteur apprivoise par l’écriture le regret de n’être que de passage. Parler du choix de croire qui est un acte d’espoir, parler du temps et de sa texture, du tout et de tous les petits riens qui font la beauté et la saveur du monde, parler surtout de la splendeur sécurisante de la lumière qui « (l’) a rendu presque fou de bonheur », c’est le chemin que prend d’Ormesson pour élaborer un prélude au départ ultime qui est le lot de tous. Comme un chant d’espérance illustre bien qu’un écrivain peut parler de la vie et de la mort, dans une écriture métaphysique, spirituelle et pédagogique. Jean d’Ormesson le fait aussi avec pudeur et partage, sans quitter les territoires de la littérature ou rompre avec l’imaginaire.




Comme un chant d’espérance de Jean d’Ormesson, Héloïse d’Ormesson, 2014, 128 p.
 
 
D.R.
« Avec ses sens et sa pensée, l’homme crée une seconde fois le monde tiré par Dieu du néant infini et de l’éternité du rien. »
 
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