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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Bande dessinée



Par Ralph Doumit
2019 - 05


Mazen Kerbaj dessine et raconte depuis maintenant plusieurs décennies. Si bien que l’habitude est bien installée de retrouver ses récits et dessins dans la presse, en librairie, sur les murs des musées, mais aussi sur les blogs et réseaux sociaux de manière constante et diverse. C’est que Mazen Kerbaj dessine comme il respire?: en flot continu. Cette instantanéité, cette envie de ne pas tourner sept fois sa plume avant de dessiner, caractérise plus largement le ton de toutes ses histoires. 

Tirée de ses cartons personnels autant que de ses contributions à la presse libanaise, la compilation Politique, qui sort aujourd’hui aux éditions Actes Sud, regroupe un large panel de ses dessins et bandes dessinées liés à l’actualité socio-politique libanaise. Le ton est annoncé dès le dialogue qui se joue entre la première et la quatrième de couverture, reprenant le double-dessin désormais célèbre de l’auteur?: «?Je pense (un homme se tient debout et affirme)… donc je ne suis plus (la tête de l’homme, assassiné, explose).?» La suite de l’album est à cette image, faite de dessins sans détours et de dialogues qui, la mort au cœur, restent joueurs.
Pour le lecteur libanais, la sensation est étrange de retrouver, alignés page après page, les pires travers du pays?: l’asservissement des employées de maison, la constante imminence d’un conflit, le racisme ambiant, la crise des déchets... D’autant plus que l’impression d’être face à des événements disparates qui peut en ressortir lorsqu’on les vit au quotidien est remplacée par un sentiment d’amère cohérence, unis qu’ils sont par le ton et l’esthétique de l’auteur. Ces travers, ainsi condensés dans une heure de lecture, apparaissent comme un bloc qui n’en est que plus pesant. Heureusement que Mazen Kerbaj a de l’humour?! 

Si le dessin est l’outil naturel de Mazen Kerbaj, les planches de Politique, de par la nécessité qu’elles ont d’avoir un discours sur des thèmes précis, semblent avant tout initiées par des idées de dialogues. Mazen Kerbaj joue alors souvent avec des séquences en plans fixes. Une mise en scène neutre qui dirige l’attention sur le texte. Des textes qui invitent le lecteur libanais à une forme de complicité?: nous connaissons les sujets dont il parle, et nous rions jaune de la manière dont il les évoque. Nous voilà donc curieux, alors que l’album est édité en France, du retour du lecteur européen. 

Si l’actualité socio-politique est l’angle choisi pour ce livre, la force des planches réside dans le fait qu’elles ne se détachent jamais de l’instinct de l’auteur, ne cherchent pas systématiquement à être consensuelles, et restent avant tout l’expression de son individualité. 

L’album s’achève par un chapitre parfois plus tendre, qui raconte l’installation de Mazen Kerbaj et de sa petite famille à Berlin. Mazen y constate que de l’extérieur, il ne se sent plus la légitimité de parler de ce qui l’embête au Liban. Une ouverture en forme d’invitation, une fois l’album refermé, à lire ou relire ensuite l’autre pan de sa production, plus résolument détaché du commentaire social et en un sens plus brut.


 BIBLIOGRAPHIE  
Politique de Mazen Kerbaj, Actes Sud/Arte, mai 2019, 129 p.
 
 
 
 
2020-04 / NUMÉRO 166