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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Bande dessinée
La guerre !? Quelle guerre ?


Par Ralph Doumit
2018 - 10


La famille Naggar, originaire d’Égypte mais installée au Liban depuis de nombreuses années, tient une librairie dans le centre de Beyrouth. Ode aux mélanges culturels, ses membres se réclament à la fois de leur Égypte natale, des films et revues occidentales qu’ils dévorent, et d’un savoir-vivre savoureusement beyrouthin. Tout en eux les éloigne des tensions qui, dans ce milieu des années 70, mènent leur pays d'accueil vers l’embrasement que l’on connaît.

À travers la chronique quotidienne de cette famille qui voudrait continuer à vivre sans être impliquée dans le conflit annoncé, ce sont les quelques mois qui firent basculer le Liban dans l’horreur qui sont retracés.

Il est touchant de retrouver dans ce récit une époque où la santé d’une librairie témoignait au quotidien de celle d’un pays. Édouard, le père de famille, n’a que faire des gesticulations guerrières qui sont en grande partie la cause de la faillite de son entreprise : il n’est qu’à voir la saine colère qui l’anime lorsqu’un homme, aux intentions louches, lui propose la protection en échange, on le devine, d’une somme versée régulièrement.

Entourés d’une jeunesse qui, parfois, tend à se radicaliser, les membres de la famille Naggar entretiennent leur neutralité, jusqu’à Serge, l’un des enfants qui, envoyé malgré lui au service militaire alors que le pays est au bord de l’implosion, se reconnaît finalement dans la position stabilisatrice et neutre de l’armée.

Rarement un titre d’album aura été aussi parlant. La Guerre des autres, quatre mots qui résument ce qu’est ce récit : un balancement perpétuel entre le sentiment que les ardeurs guerrières sont absurdes face à la vie insouciante des Naggar, et le sentiment inverse, ce doute un peu coupable, cette petite voix qui questionne : est-il irresponsable de faire comme si de rien n’était ? Une ambiguïté que relève le scénariste, Bernard Boulad, dans un texte concluant l’album. Car ce récit, sous des allures de fiction et des noms d’emprunts, est un peu le sien et celui de sa famille.

Depuis qu’il a quitté le Liban à l’orée de la guerre civile à l’âge de 16 ans, Bernard Boulad a mené une carrière, entre le Canada et la France, autour du cinéma, en tant que critique, journaliste et directeur de programmation de festivals. C’est au film d’animation qu’il consacra le plus clair de son énergie ces dernières années, défendant un métier plus que jamais artisanal, dont les temps de gestation et de production sont longs. C’est tout naturellement que, plongé dans l’univers de la narration dessinée, il fait aujourd’hui sa première incursion dans l’univers de la bande dessinée. Avec simplicité et une agréable absence de prétention, il tisse un récit à hauteur d’homme, une histoire pleine d’affection amusée pour ses personnages.

Le dessin du jeune duo Paul Bona et Gaël Henry, décontracté, parent par moment du réalisme épuré d’un Bastien Vivès, mais n’hésitant pas à pousser les traits vers une caricature plus assumée, sert le récit efficacement.

 
BIBLIOGRAPHIE 
La Guerre des autres de Bernard Boulad, Paul Bona et Gaël Henry, La boite à bulles, 2018, 176 p.
 
 
 
D.R.
 
2020-04 / NUMÉRO 166