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Road-trip romantique avec Yves Simon
Pour écrire son autobiographie, Simon prend la route, seul, sans sa Léonie. Épris de son aimée, remontant le cours du souvenir, l’auteur hésite de rencontre en rencontre entre La compagnie des femmes et celle d’une seule.

Par Ritta Baddoura
2011 - 09
Écrivain, chanteur et auteur-compositeur, Yves Simon raconte dans sa dernière publication des fragments autobiographiques gouvernés par l’amour et animés de douleur ou de joie : sa relation à sa mère, à son père, à Vincent son ami d’enfance disparu, ses ex-compagnes, les voyages – sa traversée des USA en stop ou son premier concert au Japon – qui l’ont marqué, les artistes célèbres qu’il eut la chance de connaître, les lieux et les rêves qui ont façonné sa vie. Cela ne donne pas tout à fait un roman. Cela n’explique pas non plus pourquoi ce « road-movie », tel que le qualifie l’éditeur, a pour titre La compagnie des femmes quand Simon passe le plus clair de son temps en solitaire, ses rencontres et ses souvenirs portrayant autant d’hommes que de femmes et parlant autant d’amour que de littérature.

Éternel romantique, à la fois jeune d’esprit et nostalgique, Yves Simon semble désireux d’être à tout prix dans l’air du temps. Il met à jour son champ lexical et le « technologise » autant qu’il le « consumérise ». Sont prétextes à l’écriture : la compagnie de son ordinateur, de son téléphone portable, les mails et SMS et spams, les noms (trop) propres tels que Novotel, Sofitel, Vectra, Toblerone, Coca, Ramon Allones, Clark’s et autres sigles. La poétique de Simon ainsi envahie de pop post-moderne ne lui sied que peu, à l’image d’un dandy d’âge mûr qui aurait troqué ses chaussures vernies pour des Converse.

Le lecteur est malgré tout accroché par le regard de chroniqueur que porte Simon sur le monde (cinéma, musique, littérature, politique, société, vie privée…), un regard subtil et juste. La compagnie des femmes s’éloignant du roman se situe davantage à la croisée poétique des chroniques et du journal de bord autobiographique. À ce sujet, soulignons que l’auteur évoque, non sans bienveillante ironie, un texto de son éditeur lui reprochant la prégnance poétique de son texte et lui demandant « un peu plus de factuel »… Seulement, la plume de Simon, couronnée par le prix Médicis pour son roman La dérive des sentiments (Grasset, 1991), ne distille mélancolie et douceur que lorsqu’elle reste fidèle à son flot naturel.

Yves Simon double son voyage mental dans le passé par une escapade au présent qui le mènera jusqu’à Nice. Le protagoniste se sait dans un face-à-face avec son éternelle part d’adolescence. Il ne veut pas renoncer à séduire. Il ne veut pas non plus renoncer à Léonie et retarde le moment d’assumer sa maturité. C’est dans cette transition redoutable et redoutée que lui vient l’écriture. Ses textes sont plus une autobiographie du présent que du passé et se nourrissent de la biographie d’autres : celle de Léonie surtout, mais celles aussi des êtres rencontrés en chemin, notamment ce jeune homme qui lui ressemble quand il avait vingt ans et qui se trouve comme lui à un moment crucial de son existence. Le narrateur, dans une tendre empathie, se trouve confronté à son rapport ambigu au désir d’être père et à la mort. Ainsi, c’est la compagnie de l’autre, anonyme ou intime, qui connecte l’écrivain à ses points de tension les plus enfouis et rend possibles ses retrouvailles avec lui-même. En ouvrant son histoire à celle des autres, Simon se dévoile moins tout en mettant sa capacité d’écrire et de préserver son couple à l’épreuve. Les tonalités chatoyantes et sincères de son écriture coexistent avec la platitude de certains passages. La compagnie de Simon est certes séduisante. Cherchant coûte que coûte à combler les silences, elle lasse un peu.

 
 
 
BIBLIOGRAPHIE
La compagnie des femmes de Yves Simon, Stock, 2011, 288 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166