FEUILLETER UN AUTRE NUMÉRO
Mois
Année

2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
CHERCHER SUR LE SITE
 
ILS / ELLES
 
LIVRES
 
IMAGES
 
Au fil des jours...
 
Dictionnaire
Au sein des Saints


Par Hervé Bel
2019 - 06


Le Dictionnaire des saints qui paraît aujourd’hui aux éditions Plon n’échappe pas à ce qui caractérise cette belle collection : il est à la fois un instrument de connaissance et de plaisir, un mélange harmonieux d’analyses sérieuses et d’anecdotes étonnantes. Nouvelle Légende dorée, on commence à lire distraitement cet épais ouvrage, et on ne le lâche plus, parcourant en désordre des articles variés, drôles parfois, passionnants assurément, qui touchent à l’invisible, au merveilleux et à la philosophie, ce qui ne peut nous laisser indifférent, même si l’on n’est pas croyant. 

Auteur d’une douzaine de biographies ayant trait à la religion (Jésus, Thérèse d’Avila etc.), Christiane Rancé est animée par une foi érudite qui se sent à chaque page, mais sans apprêt. Elle est liée en tout cas à la famille de Rancé, dont le plus illustre membre fut Armand-Jean Le Bouthillier de Rancé (1626-1700), à l’origine de la réforme de la Trappe, et connu en littérature pour le récit que Chateaubriand fit de sa vie. Bon sang ne saurait mentir.

Les saints, Christiane en a même rencontré deux : mère Teresa et Jean-Paul II. Concernant celui-ci, elle écrit : « Je n’oublierai jamais ni son visage ni son regard, et encore moins sa force. (…) Mais il était devant moi, et sa présence et ses paroles redonnaient sa dimension vivante à la basilique Saint-Pierre toute proche, par le seul tremblement de sa main qu’il calmait en serrant fermement l’accoudoir de son fauteuil. »

C’est que le saint, tel qu’il se dégage des descriptions qu’elle fait de plusieurs d’entre eux (d’après ses calculs, il y en aurait 50 000 reconnus), est souvent d’apparence fragile, mais il cache derrière sa faible stature une force inouïe qui fait plier les plus puissants. Il faut lire l’article qu’elle dédie à Jeanne d’Arc pour comprendre ce que signifie la sainteté. Petite bergère inculte, menue, elle conduit Charles VII à son couronnement. Prisonnière, elle répond avec une sagesse étonnante aux questions pièges que lui pose Cauchon, le si bien nommé, ou plutôt non, car les cochons sont des animaux admirables. Après une faiblesse passagère, elle revient sur ses déclarations, sachant ce qui l’attend. Elle meurt avec courage, si bien que Christiane Rancé la compare à Jésus qui eut aussi la peur de l’abandon. 

Mais cette faiblesse elle-même nous rapproche du saint qui nous offre l’espoir du paradis et le désir de nous améliorer. À l’entrée « Désir », on apprend que Saint Bernard de Clairvaux affirmait que les saints suscitent en nous le désir d’être mêlés à leur assemblée afin d’y connaître leur bonheur.

Il ne faudrait pas lire ce dictionnaire comme un simple délassement. Son auteur l’a écrit parce qu’elle est convaincue que « jamais l’exemple des grandes saintes et des grands saints n’a été plus indispensable qu’en ce début de millénaire. (…) L’alternative est simple : ou la sainteté redeviendra une question d’importance, ou c’en sera fini, et la guerre de tous contre tous cédera à la défaite générale. »

Cet ouvrage de plus de 700 pages aborde également – et ce n’est pas la partie la moins intéressante – les écrivains qui ont été hantés par la question de la sainteté, et d’abord Léon Bloy, le chrétien furieux, éructant, qui a eu des phrases sublimes qu’il faut lire. On croise Mauriac bien sûr, Huysmans pour quelques mots pénétrants qu’ils ont eus, Flaubert pour son merveilleux conte sur saint Julien l’hospitalier. Plus étonnant, Cendrars et… Baudelaire qui écrivit cette prière : « Donnez-moi la force de faire immédiatement mon devoir et de devenir ainsi un héros et un saint. »

Plus anecdotique, on apprend d’où vient le mot « auréole », attribut indispensable des saints, venant du latin aureola, « couronne d’or », emprunté à L’Odyssée d’Homère où les héros grecs sont couronnés de halos d’or. Contraire du saint, le dragon, croyance du Grand Nord, devenu par la suite représentation du diable, créature des enfers, élevé par les sorcières ; il est par définition l’ennemi du saint. Marthe le terrasse en Provence. Marguerite avalée par le dragon lui déchire le ventre, et d’autres histoires encore.

Alors laissez-vous tenter, aurait-on envie de conclure, non pas par le diable, mais par cette somme écrite avec amour. Vous ne saurez plus à quel saint vous vouer !

 
BIBLIOGRAPHIE 
Dictionnaire amoureux des saints de Christiane Rancé, Plon, 2019, 800 p.
 
 
 
D.R.
Le saint cache derrière sa faible stature une force inouïe qui fait plier les plus puissants.
 
2020-04 / NUMÉRO 166