Par Jad SEMAAN
2010 - 10
Gaby Lteif, dont la voix à Paris résume le Liban en ce qu’il a de
doux et de féminin, a réuni dans un premier opus en arabe – Empreintes
sur les ondes (Basamatoun aalal hawa’) aux éditions Dar al-Jadid – des
entretiens réalisés pour Radio Monte-Carlo Douwaliya avec seize
personnages du monde arabe qui ont marqué de leur griffe la musique, le
cinéma, la politique, la religion, la diplomatie et la poésie.
«?J’ai longtemps voulu être écrivain. Les livres sont mes plus fidèles
compagnons. Mon intention de publier est donc ancienne?», révèle celle
qui rêvait de France déjà toute jeune jolie fille, que le destin a menée
à être présentatrice sur Télé Liban, avant de l’embarquer vers Paris,
en 1986.
La fille que sa mère a nommée Gaby du nom d’une amie française assure
qu’elle porte en elle depuis toujours la francophonie, auprès de la
culture arabe. «?J’ai évidemment eu de la chance, car Paris m’a ouvert
les portes du monde entier?», confie-t-elle, en avouant son «?amour
chronique pour Beyrouth?».
Dans cet ouvrage, Mansour Rahbani craint la destruction de la planète
par l’homme?; il se remémore sa relation avec Assi et proclame son
mépris de la télévision qui répand «?la culture de la superficialité?».
Wadih al-Safi parle de la diva Sabah, évoque sa foi, les petits-enfants, son nationalisme arabe, et son rapport à la mort.
Omar Sharif raconte comment son obésité, à l’enfance, l’a conduit vers
la renommée internationale à l’âge adulte, son amour pour Faten Hamama,
la mère de son unique fils, et celui qu’il voue à l’Égypte, où il est
retourné exercer l’art d’être grand-père.
Zaki Nassif le génial révèle comment, enfant, une erreur médicale a
abîmé son nerf sciatique, le rendant inapte au sport, ce qui aurait
favorisé ses dons de musicien. Il revient sur ses premiers cours à
l’Université américaine de Beyrouth avec des profs de musique russes qui
avaient fui la révolution bolchévique. L’auteur de ’Hilwi w ya
niyyalha’ se souvient de ses débuts avec Philémon Wehbé et Toufic
el-Bacha et exprime son incommensurable amour pour la patrie.
Le poète Adonis a commencé sa vie par labourer les champs et n’est entré
à l’école qu’à l’âge de treize ans, nous rappelle ce livre. Le
chevalier précurseur y répond de la révolution qu’il a menée au nom des
lettres arabes, évoque Beyrouth, Paris et la terre de Syrie qu’il
aimerait sentir ensevelir son corps une dernière fois.
Ounsi al-Hage dont la poésie en prose était considérée avant-gardiste à
une certaine époque revient sur la mort tragique de sa mère, alors qu’il
n’avait que sept ans. Il confie que la privation de l’amour maternel
l’a torturé toute sa vie durant, développant ses facultés de poète,
toutefois «?prêt à renoncer à tout?» pour guérir l’incurable bleu à
l’âme. Il évoque aussi ses relations tendues avec les Rahbani sur fond
d’amour pour Feyrouz et la passion de cette dernière… pour l’écriture?!
L'ouvrage recéle encore des entretiens avec les patriarches Ignace IV
Hazim et Michel Sabbah, avec l’uléma Mohammad Hussein Fadlallah et
l’imam Mohammad Mahdi Chamseddine, avec Boutros Ghali, Ghassan Salamé,
Fouad Boutros et Monah Solh, avec les poètes Samih al-Kassem et Mohammad
al-Faytouri.
Pourquoi un livre d’entretiens?? La journaliste répond par la phrase
hugolienne?: «?Quand je vous parle de moi, je vous parle de vous.?» La
lauréate du prix du Sénat français de la Réussite au
féminin s’explique?: «?Au lieu de parler directement de mon vécu, j’ai
emprunté le chemin des autres qui est aussi le mien, car il est le fruit
du travail que j’ai réalisé pendant des années à la radio. Chaque
personnalité a laissé son parfum dans mon esprit, m’aidant à mieux
vivre.?» Alors qu’elle prépare le prochain tome d’Empreintes sur les
ondes dans lequel s’exprimeront d’autres figures majeures, Gaby L.
reprend la phrase biblique?: «?Il y a un temps pour toute chose et une
saison pour chaque activité sous les cieux. » «?Le temps viendra pour
parler d’amour, de blessures et de réparation?», dit-elle, sans se
départir de sa saison préférée à elle?: la joie de vivre.
*Signature le 7 décembre 2010 au Salon international du livre de Beyrouth