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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Le clin d'Å“il de Nada Nassar-Chaoul
Des étoiles dans les yeux


2019 - 10
Avec un couple d’amis amateurs de vin et de gastronomie française, vous avez, le mois passé, avec votre cher époux « fait la Bourgogne ». Ou plutôt, c’est la Bourgogne qui vous a fait… ce que vous êtes aujourd’hui, soit légèrement plus enveloppés !

Pour autant, le plus fascinant, ce n’est pas tant la cuisine « créative » des grands chefs français que le vocabulaire incroyablement complexe utilisé pour la décrire. C’est ainsi que vous, brave fille de Rmeil, élevée au sirop de mûres et à l’eau de fleurs d’oranger, vous vous êtes retrouvée, par un beau soir de septembre, dans un restaurant étoilé réservé des mois à l’avance, semble-t-il, par vos amis prévoyants.

Dans ce temple du plaisir, sous les estampes Belle Époque et les appliques en bronze dispensant une lumière discrète destinée à rendre les femmes plus belles, officient des jeunes hommes en blanc, beaux comme des Apollons. L’un d’entre eux justement se penche vers vous et, de sa belle voix veloutée, vous murmure quelque chose à l’oreille. Une proposition malhonnête ? Vous frissonnez déjà. Et bien non. Sur un ton de conspirateur, il tient à vous féliciter… pour votre choix de vin.

Vous souriez d’un air entendu de vieux « connoisseur ». Plutôt mourir que de lui avouer que vous n’avez rien choisi du tout. C’est alors qu’il entreprend de vous décrire la chose : « Nous sommes donc sur un vin animal (??), à la chair beurrée (avec tartines ?) et charpentée (!). Loin de la minéralité (mystère…), son créateur ne se perd pas en route (vous si) et a décidé d’aller droit au but (!). Ce qui nous donne ce vin féminin, nerveux (tiens, vous aussi !), tout en rondeur. »

La dissertation française, qu’aucun de vos étudiants en droit n’aurait pu, vous en jureriez, maîtriser, ne s’achève pas là. C’est au tour de l’entrée, « une chiffonnade de pomme acidulée à la ciboulette d’aubergine nappée d’un vent de fraîcheur normande à la crème de porto » d’apparaître, sa description étant plus longue que son temps de dégustation pour cause de portion minimale. Elle est suivie du plat principal et du dessert, tous portés et présentés par le même jeune homme savant et disert.

Le ballet implacable qui se déroule sous vos yeux n’est pas seulement un repas. C’est le plan rigoureux, à la française, que l’on vous a toujours enseigné depuis l’école : introduction, corps du sujet, conclusion.

Vous vous détendez. Vous êtes en terrain connu.
 
 
 
2020-04 / NUMÉRO 166