FEUILLETER UN AUTRE NUMÉRO
Mois
Année

2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
CHERCHER SUR LE SITE
 
ILS / ELLES
 
LIVRES
 
IMAGES
 
Au fil des jours...
 
Le clin d'Å“il de Nada Nassar-Chaoul
Migrants BCBG


2015 - 10
Elle n’aurait jamais dû craquer pour cette pochette du soir de grande marque, ni pour cet imper siglé qu’elle ne mettra jamais – elle en est sûre – au Liban, ni d’ailleurs pour cette énième paire de chaussures. Déjà que son cher époux, les mauvais jours, l’appelle ironiquement, Imelda. Elle ne se laisse pas faire et lui rappelle illico que Imelda Marcos était bien la femme d’un dictateur. Non??

Toujours est-il qu’elle se retrouve à l’aéroport de Paris, accablée de paquets, devant un fonctionnaire de la détaxe excédé, piétinant derrière une file de Nippons imperturbables ayant vraisemblablement dévalisé tout le faubourg Saint-Honoré. Alors qu’elle s’embrouille dans ses factures et ses sacs, son mari trépigne. Elle le sait, il exècre la détaxe. Et professe avec panache que lorsqu’on a fait des folies, il faut assumer… sans tenter en douce de récupérer ses sous.

Il se réjouit secrètement lorsque le fonctionnaire pervers – à qui, visiblement, la facture de votre sac à main a souverainement déplu – vous demande de vous déplacer vers le guichet F du 2B, commodément situé au deuxième sous-sol. Votre mari vous somme de renoncer. Vous êtes déjà en retard, mais vous vous entêtez et traversez péniblement l’aérogare avec toute votre paperasse et vos paquets que vous traînez comme des Romanichels. Heureu-sement que le style Migrants est à la mode.

Alors que vous vous attendez à être refoulée du territoire français dans un rafiot de fortune, miracle (!) votre formalité est expédiée en quelques minutes par une fonctionnaire souriante et compréhensive qui vous complimente même sur la jolie tonalité «?nude?» de vos chaussures.
 
Ha?! Ha?! Vous triomphez, mais pas pour longtemps, car vous devez encore subir une autre épreuve. L’auto-enregistrement. Alors que vos garçons le font, pfuitt, en quelques secondes, jamais, jamais, l’infernale machine n’a accepté votre passeport. Inlassablement, elle le rejette avec cette mention sibylline «?Name unknown?».

Vous en êtes réduite à mendier l’assistance de l’hôtesse aussi blonde que dédaigneuse. Vous êtes la seule à le faire, avec deux grosses dames en boubou et un Russe colérique qui tonne comme le général Dourakine contre les machines modernes. Vous le trouvez sympathique.

Le porteur de Beyrouth ne comprendra jamais la chaleur de votre sourire et le gros pourboire que vous lui refilez à l’arrivée.
 
 
D.R.
 
2020-04 / NUMÉRO 166