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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Pertes, déperditions, disparitions…


Par Antoine Boulad
2016 - 10
En apparence, il n’y aurait rien de commun entre ces sept nouvelles et textes courts que compte le recueil de Valérie Cachard. D’autant que les dates de leur écriture s’étalent sur huit ans, 2005 pour la première et 2013 pour la plus récente. Des titres aussi disparates que « Le Jardin du prophète » et « Coup de ciseau », ou bien « Déviations » et « Le Tigre et la cigogne » ne laissent pas deviner qu’une même eau souterraine traverse sourdement tous ces territoires, qu’en dépit de tonalités et d’approches différentes, l’auteure est habitée par une même hantise : le passé révolu, la transformation violente de l’espace urbain et des vies humaines, le monde qui bascule et auquel il faut survivre, la disparition des lieux et des êtres, rongés de l’intérieur…

Mounir, le coiffeur qui vendait illégalement des journaux, ne survit pas à la férocité d’un promoteur, aux appétits voraces d’une société immobilière qui engloutit la ville. Édith, journaliste belge qui « portait en elle la nostalgie d’une maison familiale », est témoin à Hasankeyf de déplacements des populations autochtones. Simone qui perd son fiancé le 13 avril 1975, puis ses esprits… et le retrouve enfin le dimanche 13 avril 2002, au moment où elle « quitte son corps petit à petit ». Dans « Si la photo est bonne », à travers de vieilles photos datant de 1931, puis de nombreuses autres photographies de toutes les époques, « Elle » évoque « le cœur de Beyrouth », trou vidé de sa substance. Il est également question de journaux et d’une photographie dans « Le Jardin du Prophète », celle qui « montrait le rebord d’un trottoir ensanglanté où, solitaire, une chaussure gisait ». Cette nouvelle évoque les dix-sept mille disparus de la guerre (in)civile à travers notamment la vie d’Amale qui a connu une fin si absurde.

Dunia a failli renoncer à son mariage avec Ulrick parce qu’elle refusait que ses futurs enfants perdent leur nationalité libanaise par suite d’une loi inique. Au moment de prendre sa décision, le téléviseur retransmettait un documentaire sur la culture chinoise ancestrale. Elle se sent à des « années lumières » et ressent de la nostalgie pour les « mariages ambulants » qui s’y pratiquaient. Dans « Déviations », traité sur un mode théâtral truculent, la narratrice se demande : « Où va le monde ? », parce qu’un homme soupçonné d’appartenir à Al-Qaida est arrêté à Achrafieh. Elle se rendait chez le coiffeur pour « se refaire une beauté entre deux attentats ».

Cependant, la forêt touffue de cette liste noire ne devrait pas cacher l’arbre essentiel, à savoir l’extrême finesse de construction narrative des nouvelles de Valérie Cachard. Les choses sont amenées avec « détours », intelligence et humour. Une maîtrise rare de la chose grave alliée à une écriture limpide et légère.


 
 
D.R.
 
BIBLIOGRAPHIE
Déviations et autres détours de Valérie Cachrad, Tamyras, 2016, 105 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166