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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Editorial
Tristis est anima mea


Par Alexandre Najjar
2014 - 12
Il est des artistes qui atteignent une aura telle que leur nom finit par se confondre avec celui de la nation dont ils sont issus. Hier Wadih el-Safi ; aujourd’hui le poète Saïd Akl et la chanteuse Sabah. Le Liban, déjà exsangue, se trouve amputé, privé de deux nouveaux membres vitaux. La population libanaise, qui savait pourtant ces artistes âgés et malades, se réveille en état de choc, profondément affectée par la disparition de ces êtres qui, depuis un siècle, faisaient partie de leur quotidien et accompagnaient la vie culturelle du pays dont ils étaient à la fois les piliers et les symboles. Cette réaction, et les hommages rendus aux disparus, prouvent en tout cas ce que les médias et les autorités ne veulent pas comprendre : le rôle essentiel, primordial, de la culture. Quel homme politique contemporain aurait suscité, à sa mort, une telle ferveur nationale ? Mais ces deux disparitions nous révèlent aussi quelque chose de tragique : l’un et l’autre sont morts dans le dénuement total, malgré l’importance de leur parcours, alors que des starlettes dénudées, dépourvues de talent, exigent et obtiennent des cachets astronomiques qui atteignent les cent mille dollars pour une seule heure de minauderies et de piaillements. Dans ses articles, l’écrivain et journaliste Fouad Sleiman déplorait souvent la misère des artistes et se révoltait contre l’inertie des autorités devant leur piètre condition matérielle. S’il vivait encore, il aurait sans doute maudit notre époque où des politiciens sans scrupules amassent des millions en toute illégalité alors que nos icônes crèvent sans le sou… Dans son élégie d’Antoun Kazan, Saïd Akl écrivait : « Panse la tristesse de ma poésie, la voilà aujourd’hui éplorée comme une branche qui a perdu son rossignol. » Grande est aujourd’hui la tristesse du Liban, éploré comme cette branche qui, d’un coup, a perdu deux « rossignols »…
 
 
 
2020-04 / NUMÉRO 166