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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Ministre de la Culture depuis février 2016, femme d’action et de principes, Audrey Azoulay livre à l’Orient littéraire, à l’occasion du Salon du livre francophone de Beyrouth, les grands axes de sa politique de soutien à la culture et au monde du livre.

Par Hind Darwish
2016 - 11
Vous avez déjà visité le Liban lorsque vous avez accompagné le président Hollande en avril dernier. Que représente pour vous ce pays ?

C’est un pays auquel je suis très attachée. Le Liban et la France sont des pays amis qui, pour de nombreuses raisons, ont lié une relation très forte et très particulière. Nous avons la chance d’avoir en France une forte communauté libanaise très créative. Le Liban, comme la France, est un pays d’art et de culture, je le mesure à chacune de mes visites. Je suis aussi consciente du rôle déterminant que joue le Liban en faveur de la francophonie. Je me réjouis qu’encore tout récemment le prix Femina 2016 ait été remis à Rabih Alameddine. Cela illustre une nouvelle fois la tradition littéraire du Liban résolument ouverte sur le monde.

Vous avez affirmé que, sur le long terme, la culture est la seule réponse durable pour la France face au terrorisme et à la barbarie. Que peut vraiment la culture ?

La culture peut nous aider à faire face à la barbarie parce qu’elle rassemble. Elle rassemble les individus au-delà des origines, des religions, des différences économiques ou sociales. Elle nous renvoie à cette humanité que nous avons toutes et tous en partage. Je suis convaincue que dans cette période que nous traversons, il faut davantage de culture. C’est d’ailleurs le choix du gouvernement auquel j’appartiens, concrétisé par une hausse historique du budget pour 2017.
 
Ghassan Salamé confirme que « la culture peut être méchante. Elle est une force de frappe pour le bien quand elle est productrice d’idées, et pour le mal quand les gens sont saisis par une fièvre culturaliste qui oppose les uns aux autres et les met en situation de clash ». Comment recultiver la culture de la pensée et des idées face à la culture belligène ?
 
Je voudrais évoquer le rôle de la traduction, maillon indispensable pour l’échange et le dialogue entre les peuples et les cultures, pour faire rempart à toutes les barbaries qui prospèrent sur le terreau du repli sur soi. Le projet de construction européenne porte en lui, depuis son origine, cette volonté de créer les conditions du dialogue. À ce jour, pour la traduction, aucun programme spécifique ciblé sur la Méditerranée n’existe. Je suis convaincue que nous devons renforcer la circulation des idées, des œuvres en dressant davantage de ponts vers les pays amis de la rive sud de la Méditerranée. C’est la raison pour laquelle le gouvernement français soutiendra et accompagnera auprès de la Commission européenne une action ciblée en faveur de l’ensemble des acteurs de la traduction du bassin méditerranéen. Dans le même esprit, j’ai souhaité que le Centre national du livre français rehausse la subvention à la traduction pour les éditeurs porteurs de projets de traduction d'ouvrages français dans une des langues de la région, soit de la traduction en français d'une œuvre des pays concernés. Par ailleurs, je vais créer l’an prochain un grand prix pour récompenser une traduction d’un ouvrage de Sciences humaines et sociales dans le bassin méditerranéen.
 
Les bibliothèques traditionnelles sont-elles vouées à disparaître ? Dans quel sens doivent-elles évoluer? Votre décision de les ouvrir le dimanche a-t-elle déjà porté ses fruits ?

Les bibliothèques sont des lieux de partage, de connaissance et de plus en plus des lieux de vie. C’est aussi l’un des premiers lieux avec l’école, d’égalité des chances. C’est pour cela qu’elles doivent être plus accessibles, notamment le soir et le dimanche. Nous dresserons au bout d’un an le bilan des nouvelles incitations mises en place en ce sens. Mais d’ores et déjà le public répond massivement par sa présence quand certaines bibliothèques ouvrent le dimanche.

Au Liban comme en France, les petites librairies ont du mal à survivre. Quel est votre plan pour les sauver ?

Le maillage que forment ces librairies est essentiel. La lecture joue un rôle fondamental dans la compréhension du monde et aussi la construction de lien social. En France, nous avons mis en place des dispositifs de soutien aujourd’hui efficients en faveur des librairies indépendantes. Je voudrais ici insister sur ce que nous faisons aujourd’hui en faveur des librairies francophones. Une centaine de librairies à travers le monde sont aujourd’hui labellisées et peuvent accéder aux aides du CNL. Dans le cadre de leur renouvellement en 2017, ces aides seront aussi étendues. D’autres mesures seront encore mises en place : rehaussement du plafond de l’encours de l’assurance-crédit pour les achats, fonds d’aide à la transmission… Autant de mesures que j’ai eu l’occasion de détailler à l’occasion de l’inauguration du Salon du livre francophone de Beyrouth. D’ailleurs, à cette occasion le Centre national du livre a débloqué une aide exceptionnelle de 40 000 euros en direction des librairies participantes.
 
Vous parlez souvent de la « démocratisation » de la culture. Quels moyens faut-il mettre en œuvre pour y parvenir ?

Démocratiser la culture, cela veut dire permettre à toutes et tous d’y avoir accès. Le levier principal que je veux actionner est celui de l’éducation artistique et culturelle dans les écoles et les collèges. Nous allons lancer l’opération « création en cours » pour renforcer la présence artistique en milieu scolaire et permettre aux élèves de partager une expérience de création de longue durée avec un artiste. Ce sont 100 jeunes artistes issus de toutes les disciplines qui, dès 2017, seront en résidence dans les écoles et collèges les plus éloignés de la culture : quartiers prioritaires, territoires ruraux et périurbains, outremer.

Internet apparaît parfois comme une zone anarchique où la propriété intellectuelle est mal protégée. En outre, le numérique est accusé d’accélérer le recul de la pratique de la lecture et des compétences surtout chez les jeunes. Quel modèle innovant peut-on mettre en place dans ce contexte ? Quelle autre révolution peut-on imaginer pour éviter certaines dérives de la révolution technologique ?

Il ne faut pas faire des immenses potentialités du numérique le prétexte d’un laisser-aller. C’est vrai, il y a eu un tel bouleversement dans les modèles économiques pour le développement d’Internet que nous n’avons pas toujours su anticiper et dont seuls quelques acteurs ultra-dominants ont capté la valeur. Il faut reconquérir cet espace pour favoriser, comme ailleurs, la diversité et le respect des créateurs.

Pour répondre aux enjeux de modernisation et de développement de la presse, confrontée à une crise grave, vous avez créé un fonds de soutien pour l’émergence et l’innovation des médias. En quoi consiste ce fonds ?

Ce fonds a vocation à aider les nouveaux médias dans leurs premières années d’existence car c’est très souvent ce moment qui est décisif pour leur survie et leur développement. Il pourra aussi venir en aide aux incubateurs média, ces structures qui accompagnent des start-up dans le domaine de la presse et aux programmes de recherche innovants. En d’autres termes, ce fonds vise à soutenir dans le même temps la diversité des médias et ainsi la multiplicité des voix et des regards dans notre pays.

La francophonie est parfois considérée avec indifférence. Quel est votre regard vis-à-vis de la francophonie ? Quels sont les outils disponibles pour défendre la langue française à l’heure où les coupes budgétaires se multiplient ?

La francophonie est une chance formidable pour faire circuler les idées et renforcer les liens entre des pays qui ont beaucoup de choses en commun. Je m’en rends compte en venant ici au Liban. La langue française et ce que nous faisons en sa faveur permettent à nos deux pays de dialoguer, mais aussi de s’enrichir mutuellement. Ces mesures nouvelles en faveur des librairies francophones et de la traduction sont la preuve de l’importance que nous accordons à la francophonie, à la défense de la langue française et à son enrichissement.

Vous êtes « l’amie des artistes ». Comment avez-vous réagi à l’attribution du Nobel de littérature 2016 à Bob Dylan ?

C’était un choix audacieux et formidable que de remettre le prix Nobel de littérature à Bob Dylan. Bob Dylan, ce sont bien sûr des mélodies, une grande musicalité mais ce sont aussi des mots engagés, des mots au service de l’émotion, des textes d’une très grande poésie. Lui attribuer le Nobel est aussi une manière de reconnaître la culture populaire et poétique. C’est un geste fort.

Votre nomination de Wajdi Mouawad à la tête du théâtre national de La Colline a été accueillie avec satisfaction, notamment par les Libanais. Pourquoi ce choix ?

C’est d’abord et avant tout le choix d’un immense artiste. C’est aussi le choix d’une personnalité ouverte sur le monde, à la jeunesse. Je crois aussi dans son projet pour le Théâtre national de la Colline qui donne une place centrale à l’écriture et qui ouvre grand les portes à la diversité et à l’altérité.


 
 
D.R.
« La culture peut nous aider à faire face à la barbarie parce qu’elle rassemble. » « Le levier principal que je veux actionner est celui de l’éducation artistique et culturelle dans les écoles. »
 
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