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Beyrouth, années de guerre et souvenirs d'enfance
Lamia Ziadé commence son carnet de guerre illustré, Bye Bye Babylone, Beyrouth 1975-1979, par un tout petit dessin du bazooka, le « bubble gum » de son enfance lancé en 1953 par une compagnie new-yorkaise qui avait cru bon de lui donner des couleurs patriotiques, le rouge, le blanc et le bleu.

Par Jabbour Douaihy
2010 - 09
Ziadé devait se douter que le bazooka est aussi le nom donné à un lance-roquette antichar (américain tout autant) et qui devait faire partie des armes de la guerre civile libanaise. La juxtaposition ne semble d’ailleurs pas fortuite puisque juste après le Marshmallows aux couleurs de l’arc-en-ciel, le sac de Kellog’s (avec un pistolet à eau en cadeau à l’intérieur !) ou le Libby’s dégoulinant de sauce tomate, l’auteur-dessinateur étale consciencieusement tout l’arsenal militaire des milices libanaises sur de nombreuses pages, à commencer par l’incontournable « joujou », le Kalashnikov AK 47, en passant par le B7, le MG, le RPG, jusqu’au M48, un véritable char d’assaut celui-là… La fièvre de la consommation qui faisait du supermarché Spinney’s dans ce qui sera le Beyrouth-Ouest du début des années soixante-dix un espace paradisiaque aurait-elle été le signe avant-coureur du déferlement de violence ? Sans se départir de sa « vision » enfantine, Ziadé semble quand même tenter un clin d’œil sociologique : « Tandis que pour notre plus grand bonheur les rayons et nos caddies débordent des mêmes produits de rêve qu’à New York ou à Londres, les réserves des milices s’emplissent d’armes et de munitions en tout genre… Le Liban est une véritable poudrière, en attente d’une étincelle. »

Effectivement, le temps s’arrête, la mémoire se fige en ce dimanche 13 avril 1975 lorsque tout bascule, les dessins gardent encore quelques couleurs d’avant qui résistent avant de se draper dans le fusain noir de la tragédie qui commence. Les lignes deviennent plus tourmentées et finissent par s’entrechoquer pour signifier les explosions dans le ciel d’Achrafieh qui semèrent un jour ou l’autre la panique dans la famille qui devait déménager sous le ciel plus clément du village natal.

C’est que le roman graphique de Lamia Ziadé tente de réanimer l’œil de l’enfant, de restituer avec « bonheur » et couleurs pastel, l’angle de la naïveté sinon de l’innocence, de brosser rapidement les profils des personnages (une grand-mère haute en couleur (sic), un grand-père marchand de tissus et qui s’accroche à sa boutique à Kantari…) qui ont su protéger l’auteur du choc frontal avec la mort ou la violence. Accompagnant irrégulièrement ce catalogue d’objets mythiques (la carte d’identité à la couverture verte, la tezekera où est surtout inscrite la confession, le poste de radio Zenith à batteries, indispensable avant la sortie du matin, ou le Valium pour les nuits difficiles…) à la Andy Warhol, le texte est plutôt blanc, descriptif, répartissant équitablement la violence et les cruautés entre les deux camps, vibrant çà ou là quand l’enfant s’approche du cercle du danger ou s’attendrissant sur les petits itinéraires où il fallait slalomer évitant les francs-tireurs pour arriver jusqu’au marchand de chocolat.

Alliant le dramatique et l’ordinaire, dans une promenade familière à tous ceux qui ont vécu la guerre civile libanaise, Lamia Ziadé nous replonge, avec tendresse et une horreur atténuée par le regard de l’enfance, dans le quotidien d’un conflit conjugué avec une histoire personnelle et familiale.

 
 
 
BIBLIOGRAPHIE
Bye bye Babylone, Beyrouth 1975-1979 de Lamia Ziadé, Denoël, 2010, xx p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166