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Enquête
L’Internationale des festivals littéraires
La Word Alliance rassemble huit des plus grands festivals internationaux de littérature de la planète. Le but : développer des passerelles entre chaque festival, permettre aux écrivains de circuler davantage et créer des projets littéraires à l’échelle mondiale. Une utopie ?

Par Lucie Geffroy
2012 - 10
Qu’ils soient dédiés à la littérature, au cinéma ou à la bande-dessinée, les festivals internationaux attirent un public toujours               plus nombreux. 60 000 visiteurs au festival Étonnants voyageurs à Saint-Malo en 2012, autant à Jaipur, 200 000 à Édimbourg. À mesure qu’ils s’agrandissent et deviennent populaires, ces festivals n’ont-ils pas tendance à adopter une logique de concurrence ? C’est pour contredire cette idée qu’est née la Word Alliance. Pékin, New York, Jaipur, Édimbourg, Berlin, Melbourne, Toronto et dernièrement Saint-Malo sont désormais membres d’un réseau international de festivals littéraires unique en son genre. 

Le projet est né en 2010. « On était en pleine crise économique, explique Nick Barley, directeur du festival du livre d’Édimbourg et président de la Word Alliance. Je commençais à avoir des craintes. Est-ce que je pourrai continuer à inviter des écrivains du monde entier ? Comment continuer à permettre au public de les rencontrer ? Il fallait innover, instaurer des synergies. » Il décide alors de partir à la rencontre d’autres directeurs de festivals. En discutant avec Geoffrey Taylor, le directeur du festival de Toronto, il réalise que son homologue souhaite lui aussi trouver des partenaires. Très vite, l’idée de créer un réseau s’impose. « Mais si on voulait que ça marche, il fallait que ce soit un réseau vraiment mondial, pas seulement anglophone, avec des festivals partenaires dans tous les continents », précise Nick Barley. En quelques mois, ils ont réussi à convaincre une demi-douzaine de festival à se fédérer. 

Le festival Étonnants voyageurs à Saint-Malo en France est le huitième et dernier festival jusqu’à ce jour à être entré dans la boucle, en février 2012. Pour la première fois depuis la création de la Word Alliance, les huit représentants des festivals se sont d’ailleurs rencontrés en mai dernier à Saint-Malo à l’occasion de la 23e édition du festival. L’objectif premier réaffirmé à cette occasion : favoriser la circulation des écrivains dans les festivals labellisés « WA ». « Dans le monde anglophone, il y a des écrivains vedettes que tout le monde connaît : des Coetze, des Salman Rushdie. C’est très facile pour moi de les inviter, explique Nick Barley. Mais il y a plein d’autres auteurs qui ont toute leur place à Édimbourg, comme par exemple le Libyen Hisham Matar, Alain Mabanckou, Tahar Ben Jelloun ou encore Abdourahman Waberi. La Word alliance permet de trouver de jeunes auteurs et de les exposer, quelle que soit la langue pratiquée, à de nouveaux publics : faire venir des Écossais à Pékin, des Canadiens à Jaipur, etc. »

Le réseau entend aussi favoriser l’émergence de projets d’envergure internationale. Sous le patronage de la Word Alliance, une « Année mondiale de la fiction » s’est ainsi lancée au festival d’Édimbourg en août dernier : une sorte de conférence mondiale des écrivains pour réfléchir sur la place et le rôle de la fiction dans le contexte de crise et de mutation actuel. À terme, Word Alliance va également se doter d’un site dédié à la littérature mondiale rassemblant toutes les informations sur l’actualité des festivals membres de la Word Alliance. « Vous imaginez, huit festivals ensemble c’est potentiellement un millier de débats dans le monde entier enregistrés par an. Quel meilleur moyen pour lutter contre la culture uniformisée ? » s’enthousiasme Michel Le Bris, directeur d’Étonnants voyageurs qui verrait bien un jour la Word Alliance éditer un livre dans toutes les langues concernées par les festivals du réseau. « Le livre sortirait le même jour et ce serait à proprement dit un événement littéraire mondial. » 
Si le festival Étonnants voyageurs est pour l’instant le seul festival francophone membre du réseau, on peut regretter l’absence de représentants sud-américain et africain. « La Word Alliance aimerait intégrer assez vite un festival d’Amérique du Sud, peut-être celui de Paraty au Brésil et un autre du Moyen-Orient, répond Nick Barley. Mais nous n’avons pas vocation à trop nous agrandir. Douze membres, ce sera le maximum. Il faut garder une certaine cohérence. Cela ne nous empêchera pas de développer des projets annexes avec de plus petits festivals, par exemple le festival palestinien Palfest qui n’a toujours pas de lieu propre. »

Tout le monde en conviendra, le nom de Word Alliance a quelque chose d’assez orwellien, y compris dans sa traduction en français – l’Alliance de la parole. Mais le réseau se définit moins comme une organisation qu’un lieu de dialogue et de collaboration entre entités indépendantes. L’orientation utopique du « label WA » est néanmoins largement assumée et revendiquée par son principal instigateur, Nick Barley. « La Word Alliance doit permettre de mieux se comprendre d’un pays ou d’une culture à l’autre. Si George Bush a pu concevoir l’idée d’un axe du mal, c’est bien parce qu’il n’avait aucune connaissance de l’islam et qu’il en avait donc peur. Le XXe siècle a été celui du sang et des meurtres, je fais le vœu que le XXIe siècle soit celui des mots. Je ne sais pas si on peut changer le monde avec les mots, mais on peut essayer. » 


 
 
 
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