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Enquête
La culture du chef


Par Abbas TORBEY
2012 - 03
Tenter de débroussailler les maquis de la politique libanaise est une entreprise peuplée de pièges et de dangers. Si les structures sociales libanaises sont particulièrement complexes, que dire alors du système politique de ce pays, l’un des plus compliqués et des plus atypiques au monde. Mais quand l’étude de ce système est menée par des sociologues soucieux d’en cerner les contours avec une bonne marge d’exactitude, il devient alors possible de retrouver son chemin dans les enchevêtrements de ce lacis. C’est, en tout cas, l’objectif des chercheurs qui ont publié leurs travaux dans deux ouvrages qui viennent de paraître : Leaders et partisans au Liban et Métamorphose des figures du leadership au Liban.

Dans ce dernier titre, sur la base du résultat des élections législatives ou estudiantines de 2009, sont observées les figures des leaders politiques sortis de ces élections. La date de 2009 a été choisie comme point de référence car, à l’époque, un contexte national et régional particulièrement tendu a encadré le scrutin législatif. L’on constate, par l’analyse de ce scrutin, qu’il a entraîné la remise en cause des termes du compromis politique sur lequel repose la formule consociative du pays. L’on remarque aussi la communautarisation outrancière du jeu politique et sa polarisation entre deux leaderships (Hezbollah d’un côté, courant du Futur, de l’autre) qui assoient leur hégémonisme respectif sur leurs territoires et leurs communautés. Chacune de ces deux formations politiques confisque à son profit les voix de sa communauté et marginalise par le fait même toute opposition à son hégémonie. Cela est particulièrement vrai dans le comportement du Hezbollah, lequel arrive à brouiller le jeu démocratique normal des institutions en mettant le parti Amal (autre parti chiite) sous sa coupe et en s’adjugeant le monopole de la représentation communautaire chiite au sein du pouvoir. Marginalisés, laminés donc les anciens leaders de la communauté comme les Assaad, les Osseirane, les Beydoun, les Amine… au Sud ; les Husseini, les Hamadé, les Haïdar… dans la Békaa. La même situation se retrouve, à moindre échelle il est vrai, chez les sunnites. Depuis la mainmise de Hariri sur la communauté, les Solh, les Yafi, les Wazzan, les Karamé… sont quasiment passés aux oubliettes. Seules les communautés chrétiennes préservent en leur sein des structures multipartites, mais réaménagées et très polarisées. Pour illustrer ces constats, plusieurs cas de figures sont étudiés : le scrutin de la circonscription de Jbeil et celui du Liban-Sud, le vote de la gauche antisystème, le vote estudiantin, le vote des migrants... 

Le second ouvrage, Leaders et partisans au Liban, se déploie sur quatre thèmes : conquête du national, socialisations partisanes, sphères religieuses, prisme du local. L’ensemble des contributions se propose de présenter « les résultats d’un programme de recherche sur les figures du leadership et les sociétés partisanes au Liban ». Ces sociétés relèvent de structures sociales plus ou moins fermées, « réaménagées » et reconstruites autour d’un leader ou d’un parti. Elles enclenchent tout un processus de socialisation transmis par un tissu d’institutions allant des écoles aux mouvements de jeunes. Catherine le Thomas montre ce processus de socialisation partisane dans son article sur le paysage scout chiite, tandis que Chantal Mazaeff l’illustre par le cas de la formation militante des jeunes des Forces libanaises dans le secteur de Aïn el-Remmaneh.

Ces sociétés partisanes créent aussi leurs modes et rituels de sociabilité : célébration de Achoura à Nabatiyé, étudiée par Michel Tabet ; mariages collectifs organisés par Amal ; cérémonie de la prise du voile dans les écoles du Hezbollah ; messes de commémoration des martyrs célébrées par les Forces libanaises…

Enfin, ces sociétés sécrètent à leur tête un leader charismatique identifié à une communauté religieuse dans le cadre du communautarisme libanais. L’interaction entre le leader, le za’ïm, et ses partisans est étudiée par Abirached à travers l’exemple du général Aoun. Une distinction est faite entre les leaders traditionnels (le leadership maronite du Nord étudié par Chawki Douayhi ; le cas de Magid Arslane vu par Chawkat Ichti) et les nouveaux leaders imposés à la faveur des guerres libanaises (Samir Geagea, Michel Aoun, Hassan Nasrallah, Rafic puis Saad Hariri…). Mais « la force du leader réside dans le lien qu’il parvient à instituer avec sa société partisane ». Lien le plus souvent affectif illustré par une symbolique visuelle et dramaturgique qui se déploie au sein des espaces privés et publics.

Ces deux ouvrages apportent une contribution remarquable à l’étude de la structuration de la vie politique libanaise après la guerre civile. Le constat qui est fait, c’est que les fractures communautaires et partisanes se sont gravement accentuées à l’intérieur du pays. « La polarisation communautaire et la cristallisation avancée des communautés mettent en échec toute tendance de l’identité nationale à transcender les particularismes de groupe. » La classe politique issue de la guerre porte une large part de responsabilité dans l’exacerbation de ces particularismes susceptibles, à plus ou moins brève échéance, de mener le pays à la catastrophe. Avant la guerre, le Liban souffrait certes de la « gangue du communautarisme ». Malgré tout, les jeux politiques intercommunautaires restaient policés et ouverts. À l’époque, on pouvait espérer passer de la forme communautaire de l’allégeance à sa forme nationale et citoyenne. Ce rêve est-il encore possible aujourd’hui ?






 
 
 
BIBLIOGRAPHIE
Métamorphose des figures du leadership au Liban. Champs et contrechamps des élections législatives de 2009 de sous la direction de Myriam Catusse, Karam Karam e, Presses de l’IFPO, 324 p.
Leaders et partisans au Liban de sous la direction de Franck Mermier et Sabrina Mer, Karthala-IFPO-IISMM, 495 p.
 
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