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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Essai



Par Fady Noun
2020 - 04
Petits, nous étions fascinés par ces petites fioles d’eau et d’huile que nous obtenions du couvent d’Annaya. Régulièrement, nous agitions la fiole et observions, fascinés, comment les deux liquides finissaient par se séparer. Il en va ainsi pour le sacerdoce et le mariage, dans l’esprit du cardinal guinéen Robert Sarah, préfet de la congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements. Ces deux états se côtoient, mais ne se mélangent pas. Pour lui, le célibat est «?ontologiquement?» ordonné au sacerdoce. Sa plaidoirie passionnée par cette règle de vie spirituelle figure dans l’ouvrage Des profondeurs de nos cœurs qui vient de paraître chez Fayard. Sauf que le livre est présenté – arbitrairement semble-t-il – comme ayant pour co-auteur le pape émérite Benoît XVI. Dans l’ouvrage, ce dernier propose, en première partie, une étude théologique sur le sacerdoce catholique. Dans une seconde partie, en se basant sur sa propre jeunesse dans la brousse africaine, ainsi que sur les Écritures, la Tradition et le Magistère, le cardinal Sarah se prononce contre l’ordination de diacres mariés éprouvés et d’âge mûr (viri probati) comme palliatif au manque de prêtres et, à titre d’exception, une option envisagée au cours des débats qui ont marqué le synode sur l’Amazonie en 2019. Une introduction et une conclusion, de quelques pages chacune, encadrent les deux textes, que leurs auteurs assurent offrir «?en esprit d’obéissance filiale au pape François?».

Quand bien même ces quelques pages n'ont jamais obtenu l'accord formel de Benoît XVI, il n’est pas inutile de revenir à l’après Concile Vatican II. Accueillant les membres du clergé de Rome le 14 février 2013, le pape leur avait expliqué que le monde avait perçu Vatican II «?à travers les médias?». Alors que «?le Concile des Pères se réalisait à l’intérieur de la foi?», celui des journalistes «?se réalisait à l’intérieur des catégories des médias d’aujourd’hui?», c’est-à-dire dans une herméneutique «?politique?» qui voyait une «?lutte de pouvoir entre les divers courants dans l’Église?». Ce «?Concile des médias?» s’est imposé dans la société en créant de nombreux problèmes pour la mise en pratique du «?vrai Concile?», dont le thème central était, selon le pape, «?la communion?». 

Il fallut des années pour que cette dichotomie s’efface et que «?le vrai Concile?» trace son chemin dans les esprits. Il n’est pas exclu que dans le cas du synode sur l’Amazonie, le pape émérite ait pu penser, à nouveau, que le risque existe que ce soit l’opposition entre deux hommes qui prenne le dessus, aux yeux des médias et de l’opinion, sur le fond du problème. Le film récent Les Deux Papes verse exactement dans cette erreur de perspective, en jouant sur l’opposition non entre deux approches, qui d’ailleurs se recoupent et se complètent, mais entre deux hommes.

Et la tradition des prêtres mariés, si commune dans les Églises orientales?? «?Pourquoi l’Église catholique admet-elle la présence d’un clergé marié dans certaines Églises orientales unies???», s’interroge à ce sujet le cardinal Sarah. Et de répondre?: «?À la lumière des affirmations du magistère récent sur le lien ontologique entre sacerdoce et célibat, je pense que cette acceptation a pour but de favoriser une évolution progressive vers la pratique du célibat qui aurait lieu non par voie disciplinaire mais pour des raisons proprement spirituelles et pastorales.?»

Ces lignes sont importantes. Le cardinal Sarah y convient, avec ses propres mots, que le lien entre le célibat et le sacerdoce qu’il tente de fonder sur le plan philosophique, répond aussi, concrètement, à des considérations «?spirituelles et pastorales?», sans qu’aucune de ces deux considérations n’annule nécessairement l’autre. C’est un peu comme Saint Paul réglant la question du mariage dans l’Église apostolique?: «?Je dis toutefois aux non-mariés et aux veuves qu’il leur est bon de demeurer comme moi. Mais s’ils ne peuvent se contenir, qu’ils se marient?: mieux vaut se marier que de brûler.?» (1 Corinthiens, 7:8). Une chose est recommandable, l’autre licite, sage et prudente. 

Dans l’avion à bord duquel il rentrait en 2015 d’une visite en Terre sainte, le pape François avait risqué, sur l’insistance de la presse, cette parole?: «?Le célibat (des prêtres) n’est pas un dogme. C’est une règle de vie que j’apprécie beaucoup et je pense que c’est un don pour l’Église.?» Tout est dit là, mais de peur de scandaliser une partie de l’Église en banalisant l’option du célibat des prêtres comme «?don pour l’Église?», le pape François a choisi, dans l’exhortation apostolique post-synodale sur l’Amazonie qui vient de paraître, de passer complètement sous silence la question. Sans dire ni oui, ni non, il laisse cette question brûlante pacifiquement ouverte aux circonstances de temps et de lieu présentes et à venir.


 
 
 
Des profondeurs de nos cœurs de Benoît XVI et Cardinal Robert Sarah, Fayard, 2020, 180 p.

 
 
 
D.R.
 
2020-04 / NUMÉRO 166