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Essai
La « saga » des Tabet
Alors que la tendance actuelle est à l’amnésie (partielle ou générale), Ibrahim Tabet nous propose une œuvre de transmission.

Par Lamia el-Saad
2020 - 02

Auteur de nombreux ouvrages historiques sur le Proche-Orient et sur les religions, Ibrahim Michel Tabet entreprend d’écrire l’histoire de sa famille. Pour autant, ce n’est pas une collection de souvenirs personnels mais bien, une fois de plus, un travail d’historien, la « saga » des Tabet étant intimement liée à l’histoire du Liban. 

L’auteur précise d’emblée que son intention n’est pas de citer tous les membres de sa nombreuse famille. De fait, il s’agit « moins d’une chronique exhaustive que de bribes d’histoires ». Tabet souligne que son patronyme est largement partagé ; qu’il existe des Tabet maronites mais aussi protestants, musulmans, druzes, juifs ou encore d’origine maghrébine. Le tout dispersé sur les cinq continents du fait de l’émigration. Toutefois, le point de départ, le village d’origine, lui, est clairement identifié : Akoura. Il en est de même pour le premier aïeul : l’émir rebelle du Mont-Liban, Yaʻcoub al-Maradi al-Akoury qui a gouverné le pays de 675 à 695. De sa lignée sont issus plusieurs mokaddams et émirs. La famille des Marada (« révoltés ») ou Mardaïtes (« géants ») est originaire d’une montagne à l’est d’Antioche, l’Amanus. L’auteur atteste que l’ancienneté du patronyme est confirmée. Ce n’est, en revanche, pas le cas des histoires proposées pour expliquer le sens qu’on lui attribue : celui de « stable » ou encore de « ferme » (thabet).

Descendant en ligne directe de Yaʻcoub Al-Maradi, la famille Tabet « a joué un rôle pionnier dans l’histoire du Liban et celle de l’Église maronite, en donnant à ce pays des hommes illustres ». Si les origines de cette Église sont notoirement connues, l’auteur mentionne qu’elle « demeura une Église de rite syriaque relativement isolée jusqu’à l’arrivée des Croisés. La participation du patriarche Jérémie Ier au IVe concile du Latran en 1215 permit de confirmer et de renforcer son union avec Rome ».

La famille Tabet se ramifie en plusieurs branches et en de très nombreux rameaux. Cette famille que l’on pourrait presque qualifier de tentaculaire se divise principalement en trois branches : les Tabet de Bhamdoun (les plus nombreux), ceux de Deir el-Qamar et ceux de Beyrouth. 
L’arrivée des premiers immigrants chrétiens à Bhamdoun remonte au début des années 1540. Bien qu’appartenant à la communauté maronite minoritaire, « les Tabet de Bhamdoun étaient considérés comme les fondateurs du village ». Durant les événements de 1860, Bhamdoun qui bénéficiait de la protection des cheikhs Abdel Malak échappa « au sort tragique des villages chrétiens de la région ». Capitale des émirs du Mont-Liban, Deir el-Qamar a été victime, à deux reprises, en 1860 et 1983, « de l’animosité druzo-chrétienne et des vicissitudes politiques ».

Lorsqu’Ibrahim Tabet s’établit à Beyrouth en 1725, cette petite ville ne comptait alors que cinq à six mille habitants et était moins importante que Tripoli et Saïda. Promue au rang de capitale sous le Mandat français, Beyrouth devint une métropole économique et culturelle rayonnant sur tout le Moyen-Orient. « Les Tabet de Beyrouth figurent parmi les plus anciennes familles maronites de la capitale aux côtés des familles de la grande bourgeoisie orthodoxe et sunnite ».

Parce que la grande histoire rejoint la petite, parce que l’une se nourrit de l’autre, Ibrahim Michel Tabet survole, au fil des pages, les principaux événements qui ont façonné l’histoire du Liban, et ce de l’émirat à la guerre civile qui débuta en 1975. Il nous livre un très bel ouvrage émaillé de photos rares ayant une valeur historique incontestable mais aussi de photos plus personnelles ; un ouvrage dans lequel les vérités historiques se mêlent à des anecdotes et à des souvenirs emprunts de nostalgie. Toutefois, l’auteur a scrupuleusement veillé à ne pas « écrire une histoire romancée » et à adopter, dans la mesure du possible, un « ton neutre » et un « style sans prétention littéraire ».

De nos jours, « la volonté d’entretenir la mémoire des ancêtres se perd » ; c’est donc bel et bien une œuvre de transmission qui revêt une importance d’autant plus grande.


 
 
 
Les Tabet, une histoire de famille des origines à nos jours d’Ibrahim Michel Tabet, éditions Antoine, octobre 2019, 224 p.


 
 
 
 
2020-04 / NUMÉRO 166