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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Essai
Bernard Fall, une vie d'aventures


Par Henry Laurens
2020 - 01


Mon ami Hervé Gaymard, homme politique et écrivain, s’est lancé ici dans une entreprise originale. Fasciné depuis longtemps par la personnalité de Bernard Fall, un spécialiste des questions asiatiques disparu prématurément au Vietnam au début de 1967, il a découvert que cet universitaire a participé aux maquis de la Maurienne et de la Haute-Tarentaise puis a servi dans l’armée des Alpes durant la Seconde Guerre mondiale. Pour celui qui a été durant de nombreuses années député de la Savoie et qui est encore président du Conseil départemental, cela a servi d’élément déclencheur pour une vie parallèle, une quête personnelle à la recherche de Bernard Fall dont on savait alors peu de choses. L’interrogation sur le destin d’un homme s’accompagne d’une enquête archivistique méticuleuse, un modèle du genre.

Fall est né à Vienne en 1926 dans une famille juive venue de Galicie. À l’âge de 12 ans, il est rendu apatride par les nazis. Il faut fuir la terrible persécution qui commence. La famille se disperse pour rejoindre la France. Le garçon de 12 ans arrive à Paris le 25 novembre 1938. Il refoulera dans sa mémoire son passé autrichien que l’auteur ici réussit à reconstituer.

La famille s’installe à Nice où elle est rattrapée par la guerre. Le régime de Vichy organise une rafle qui emportera la mère de Bernard vers la mort dans un camp d’extermination. À 16 ans, le gamin entre dans la résistance tout en poursuivant ses études. Il aboutit finalement dans les maquis savoyards. À la Libération, il s’engage dans l’armée française.

Démobilisé en 1946, il est engagé comme traducteur pour les procès de Nuremberg et participe aux enquêtes pour établir les actes d’accusation. Il obtient en 1949 la citoyenneté française à laquelle il restera jusqu’au bout fidèle. À 25 ans en 1951, il reçoit une bourse Fulbright qui lui permet d’aller étudier aux États-Unis. Il y rencontre la femme de sa vie qu’il épousera un peu plus tard. Il se lance dans une thèse sur l’Indochine où il rend pour la première fois en 1953. Jusqu’à sa mort, il publiera sept ouvrages concernant le pays. Grâce à son expérience de la Seconde Guerre mondiale, il comprend mieux les enjeux et il est reçu par les militaires français puis américains. Ce baroudeur progresse ainsi dans le cursus universitaire. Il reçoit aussi des accréditions de grands journaux américains pour ses différends séjours sur place. Il devient un pionnier de l’étude la guerre révolutionnaire et de la contre-insurrection. Il affirme que la solution ne peut être militaire, elle est politique.

Hervé Gaymard réussit à reconstituer les dernières semaines de sa vie en se rendant sur place. Fall est mort en sautant sur une mine à un millier de kilomètres de Saigon le 21 février 1967 à à peine 41 ans.

Cette courte existence, remplie d’événements et de courage, est propre à l’âge des extrêmes qui s’est terminé avec la guerre froide. On pouvait alors naître à Vienne, devenir soldat français et mourir comme correspondant de guerre d’un journal américain en Indochine. Ce livre est à la fois une rêverie sur l’action et une méditation sur le destin, écrites largement à la première personne et nous enrichissant encore plus sur la personnalité attachante d’Hervé Gaymard. Il est aussi un travail minutieux de reconstitution historique fondé sur le recoupement de fonds d’archives de divers pays et la collecte de témoignages des derniers à avoir connu Bernard Fall.

Le lecteur trouvera dans ce livre une double révélation, celle d’un homme disparu depuis plus d’un demi-siècle et celle d’un rêve d’aventure qui s’exprime dans l’austérité de la recherche documentaire :

« J’ai compulsé de vieux annuaires, reconstitué des plans pour tracer des itinéraires, cherché des maisons détruites, arpenté des rues aux dénominations successives, parfois renumérotées, pour identifier le bon immeuble. Je suis surtout parti à la recherche de vies enfouies, enfuies, car elles n’avaient sans doute d’autres saluts. J’ai voulu redonner vie à des fantômes de papier, comme des chimères qui s’échapperaient de registres d’état civil, d’avis de décès, de photos jaunies, qui nous contemplent comme les détails tronqués d’ensembles à jamais perdus. »

Plus que jamais, je est un autre.
 
 
 
Un homme en guerres, Voyage avec Bernard B. Fall d’Hervé Gaymard, éditions des Équateurs, 2019, 264 p.

 

 
 
D.R.
 
2020-04 / NUMÉRO 166