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Essai
Le Pape François dans le collimateur
Réformateur impopulaire aux yeux d’une « frange puissante et active » du catholicisme américain conservateur, l’homme en blanc fut et demeure la cible de sombres attaques.

Par Lamia el-Saad
2019 - 10


Les réformes engagées dès le début de son pontificat, sa volonté d’une Église plus évangélique et plus proche des pauvres, ses positions contre le racisme, en faveur des immigrés, des sans-abri, des chômeurs, des victimes de la crise provoquée par « l’idolâtrie de l’argent », sa critique du capitalisme néo-libéral provoquent une « levée de boucliers dans les milieux libéraux ». C’est un sujet particulièrement explosif aux États-Unis où les attaques d’inspiration éthique contre l’économie de marché sont rares. L’encyclique Laudato si (dans laquelle il appelle à une réponse globale au réchauffement climatique) s’est heurtée aux climatosceptiques et aux géants du pétrole.

« Sans rien renier des valeurs catholiques », François n’est pas partisan d’un combat frontal et prône le dialogue. Les deux Synodes sur la famille, en 2014 et 2015, vont permettre à l’opposition au pape « de se cristalliser ». Venus en force, les milieux conservateurs soulignent combien, à leurs yeux, le pape s’éloignerait de l’enseignement de Jean-Paul II sur la famille. De fait, François ne souhaite pas que le Synode se contente de répéter une doctrine déjà connue. Au cœur du débat, la possibilité de permettre aux divorcés remariés l’accès aux sacrements. Les États-Unis, où 5,8 millions de catholiques auraient divorcé, sont particulièrement concernés. On lui reproche également son ouverture vis-à-vis des homosexuels ; de trop parler de miséricorde et pas assez de péché. Or, pour lui, la miséricorde passe nécessairement par la reconnaissance du péché : « Les actes homosexuels sont donc un péché, mais cela ne doit pas empêcher l’accueil du pécheur. »

S’il peut être perçu comme progressiste, le pape François demeure conservateur sur bien des points. Il n’a « jamais caché son aversion pour le crime de l’avortement ». Décidément « à rebours » d’une société américaine favorable à la peine de mort, il est abolitionniste. Un autre point de friction réside dans son dialogue avec les « rouges » de Chine et de Cuba. 

« Dès l’origine des États-Unis, les catholiques ont eu du mal à trouver leur place au sein d’une société et d’institutions marquées par le protestantisme, dans sa version la plus puritaine. » Déjà en 2012, une ombre malfaisante planait sur le Vatican. Le majordome Paolo Gabriele qui a dérobé, sur le bureau de Benoît XVI, les documents de l’affaire des VatiLeaks avait été recommandé à l’embauche par le cardinal américain James Harvey. À noter que Mgr Harvey est devenu, par la suite, « un prudent mais efficace opposant au pontificat de François ». En 2018, il était devenu évident que les catholiques américains ultraconservateurs ne réussiraient pas, malgré leurs réseaux d’influence et leurs relais traditionnels (comme la Papal Foundation), à « faire changer le pape d’avis » ; ils décidèrent donc de « changer (…) de pape ».

Le 26 août 2018, Mgr Vigano publiait une « diatribe sans précédent » contre le pape, l’appelant à la démission et dénonçant les abus sexuels de Mgr McCarrick que le Vatican aurait couvert. Il n’est sans doute pas inutile de signaler que l’ex-cardinal Theodore McCarrick que François avait poussé à démissionner quelques semaines plus tôt fut « une des figures de proue de l’Église américaine ». Quant à Mgr Vigano, ancien ambassadeur du pape aux États-Unis, il s’y était rapproché des milieux conservateurs. Si la majorité est restée silencieuse, 24 évêques américains ont publiquement soutenu Mgr Vigano qui n’aura été qu’un « instrument » dans cette tentative de coup d’État. 

Que serait-il advenu si un pape moins solide avait eu à affronter cette tempête ? Rien n’était joué d’avance et, « choisissant le silence face aux attaques, le pape en a déboussolé plus d’un, y compris parmi ses plus fervents soutiens ».

Aujourd’hui encore, « les attaques se déchaînent contre le pape ». De même qu’ils ont réussi à peser sur les conclaves de 2005 et 2013, les Américains préparent déjà le prochain conclave.
Correspondant permanent du quotidien La Croix au Vatican et spécialiste des questions religieuses, Nicolas Senèze nous révèle une volonté américaine de constituer un « Red Hat Report » : un dossier sur chacun des cardinaux électeurs du prochain conclave dans le but d’y obtenir une majorité absolue ou, à défaut, une « minorité de blocage contre un candidat capable de continuer la mise en œuvre de la réforme lancée par François ».


 
 
 BIBLIOGRAPHIE 
Comment l'Amérique veut changer de pape de Nicolas Senèze, Bayard, 2019, 276 p.

 
 
 
 
2020-04 / NUMÉRO 166