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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Essai



Par Antoine de Tarlé
2019 - 07

Pierre-Jean Luizard est un des meilleurs spécialistes français du Moyen-Orient. Son livre, Le Piège Daech, publié en 2015, a reçu le prix du livre de géopolitique. Dans son dernier ouvrage, La République et l'islam, il aborde les relations complexes et souvent violentes entre la France et les sociétés musulmanes depuis la Révolution française.

 

L uizard commence son essai par l’expédition d’Égypte menée en 1798 par Bonaparte. Il montre de manière éclairante la profondeur des ambiguïtés et des incompréhensions entre les militaires français et les élites égyptiennes, ce qui conduisit à l’échec, trois ans plus tard, de cette première expérience et à l’anéantissement du rêve de Bonaparte de créer une République égyptienne sœur de la République française.

 

L’expérience égyptienne est d’autant plus intéressante à observer qu’elle constitue la première illustration d’une erreur que les dirigeants français successifs ne cesseront de répéter. À chaque étape des interventions françaises dans le monde musulman, que ce soit en Algérie ou au Levant, on constate l’association improbable entre la volonté de diffuser les idéaux de la République et une politique résolument colonialiste. Si on ajoute le fait que les républicains laïcs adversaires de l’Église en France, n’hésitèrent jamais à encourager les ordres religieux à s’implanter dans des pays comme l’Égypte ou la Syrie où les chrétiens étaient très minoritaires, on mesure l’ampleur des contradictions dans lesquelles se débattaient des gouvernements qui n’avaient qu’une compréhension très limitée de ces sociétés qu’ils souhaitaient conquérir et réformer.

 

Il existe cependant des exceptions à cet aveuglement. L’auteur évoque là encore un épisode oublié, l’action entre 1840 et 1870 des saints simoniens, un petit groupe d’intellectuels héritiers de la pensée de l’économiste Saint Simon. Ils étaient convaincus, à l’initiative de l’un d’entre eux, Ismayl Urbain, que la France se fourvoyait en Algérie et qu’il fallait respecter les convictions de la société musulmane au lieu de multiplier les opérations militaires et les répressions. Ils réussirent à influencer l’empereur Napoléon III qui tenta d’instaurer un «?Royaume arabe?» mais la chute de l’Empire en 1870 mit un terme à cette expérience.

 

La IIIe République retomba immédiatement dans les erreurs passées combinant inlassablement le message laïc et républicain avec la répression coloniale. La confusion atteignit son comble quand en 1907 le gouvernement mit en place un dispositif permettant de continuer à financer le culte musulman en Algérie, en violation de la loi de séparation de l’Église et de l’État. Une fois de plus, la vision coloniale l’emporta sur les convictions laïques d’hommes politiques de gauche.

 

La dernière partie de l’ouvrage est consacrée à l’action de la France au Levant quand le pays se vit confier, au lendemain de la Première Guerre mondiale, un mandat sur la Syrie et le Liban, des territoires arrachés à l’Empire ottoman.

Luizard dresse un tableau sans indulgence des errements de la France en Syrie entre 1920 et 1939. Il évoque les efforts souvent infructueux de la puissance mandataire pour diviser le pays en entités distinctes et hostiles entre elles pour mieux assurer son autorité sur des populations gagnées par le nationalisme. Il décrit notamment de manière très complète l’intervention du général Sarrail en 1925-1926 ou comment un général connu pour ses opinions républicaines et nommé par le gouvernement du cartel des gauches se fourvoya dans une sanglante répression contre les druzes.

 

Ce petit livre a le mérite d’éclairer un passé souvent occulté par les historiens, mais aussi d’apporter d’utiles éléments de réflexion pour expliquer l’état présent du Moyen-Orient.

 

BIBLIOGRAPHIE

La République et l’islam de Pierre-Jean Luizard, Tallandier, 2019, 238 p.

 

 
 
D.R.
 
2020-04 / NUMÉRO 166