Par Antoine de Tarlé
2019 - 07
Pierre-Jean
Luizard est un des meilleurs spécialistes français du Moyen-Orient. Son livre,
Le Piège Daech, publié en 2015, a reçu le prix du livre de géopolitique. Dans
son dernier ouvrage, La République et l'islam, il aborde les relations
complexes et souvent violentes entre la France et les sociétés musulmanes
depuis la Révolution française.
L uizard commence
son essai par l’expédition d’Égypte menée en 1798 par Bonaparte. Il montre de
manière éclairante la profondeur des ambiguïtés et des incompréhensions entre
les militaires français et les élites égyptiennes, ce qui conduisit à l’échec,
trois ans plus tard, de cette première expérience et à l’anéantissement du rêve
de Bonaparte de créer une République égyptienne sœur de la République
française.
L’expérience
égyptienne est d’autant plus intéressante à observer qu’elle constitue la
première illustration d’une erreur que les dirigeants français successifs ne
cesseront de répéter. À chaque étape des interventions françaises dans le monde
musulman, que ce soit en Algérie ou au Levant, on constate l’association
improbable entre la volonté de diffuser les idéaux de la République et une
politique résolument colonialiste. Si on ajoute le fait que les républicains
laïcs adversaires de l’Église en France, n’hésitèrent jamais à encourager les
ordres religieux à s’implanter dans des pays comme l’Égypte ou la Syrie où les
chrétiens étaient très minoritaires, on mesure l’ampleur des contradictions
dans lesquelles se débattaient des gouvernements qui n’avaient qu’une
compréhension très limitée de ces sociétés qu’ils souhaitaient conquérir et
réformer.
Il existe cependant
des exceptions à cet aveuglement. L’auteur évoque là encore un épisode oublié,
l’action entre 1840 et 1870 des saints simoniens, un petit groupe
d’intellectuels héritiers de la pensée de l’économiste Saint Simon. Ils étaient
convaincus, à l’initiative de l’un d’entre eux, Ismayl Urbain, que la France se
fourvoyait en Algérie et qu’il fallait respecter les convictions de la société
musulmane au lieu de multiplier les opérations militaires et les répressions.
Ils réussirent à influencer l’empereur Napoléon III qui tenta d’instaurer un
«?Royaume arabe?» mais la chute de l’Empire en 1870 mit un terme à cette
expérience.
La IIIe
République retomba immédiatement dans les erreurs passées combinant
inlassablement le message laïc et républicain avec la répression coloniale. La
confusion atteignit son comble quand en 1907 le gouvernement mit en place un
dispositif permettant de continuer à financer le culte musulman en Algérie, en
violation de la loi de séparation de l’Église et de l’État. Une fois de plus,
la vision coloniale l’emporta sur les convictions laïques d’hommes politiques
de gauche.
La dernière
partie de l’ouvrage est consacrée à l’action de la France au Levant quand le
pays se vit confier, au lendemain de la Première Guerre mondiale, un mandat sur
la Syrie et le Liban, des territoires arrachés à l’Empire ottoman.
Luizard dresse un
tableau sans indulgence des errements de la France en Syrie entre 1920 et 1939.
Il évoque les efforts souvent infructueux de la puissance mandataire pour
diviser le pays en entités distinctes et hostiles entre elles pour mieux
assurer son autorité sur des populations gagnées par le nationalisme. Il décrit
notamment de manière très complète l’intervention du général Sarrail en
1925-1926 ou comment un général connu pour ses opinions républicaines et nommé
par le gouvernement du cartel des gauches se fourvoya dans une sanglante
répression contre les druzes.
Ce petit livre a
le mérite d’éclairer un passé souvent occulté par les historiens, mais aussi
d’apporter d’utiles éléments de réflexion pour expliquer l’état présent du
Moyen-Orient.
BIBLIOGRAPHIE
La République et
l’islam de Pierre-Jean Luizard, Tallandier, 2019, 238 p.