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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Essai
L'Asie vue d'Asie


Par Henry Laurens
2018 - 11
Cet ouvrage est d’abord ce que l’on appelle un beau livre. Ce catalogue d’une exposition du musée Guimet comprend des reproductions de très haute qualité et une très belle maquette. C’est un plaisir des yeux de le parcourir. Le texte est, si on peut dire, à l’image des illustrations : il enrichit le lecteur à sa lecture.

Le terme « Asie » désigne chez les Anciens l’Anatolie et au-delà l’Assyrie. La traduction latine de Ptolémée au début du XVe siècle présente pour la première fois un continent asiatique en une douzaine de cartes. Les jésuites vont en transmettre l’idée au XVIe siècle en Inde, Chine et Japon, ce qui deviendra à la fin du XIXe siècle un projet politique dans certaines élites. Mais depuis longtemps, les futurs Asiatiques avaient cartographié leur monde, généralement en se posant comme en étant le centre.

La Chine a eu très tôt un système de quadrillage cartographique supérieur en qualité à tout ce qui se faisait ailleurs. Les cartes servent à faire la guerre, sont des instruments du pouvoir et des manifestations de légitimation politique. Leurs modèles ont circulé dans toute l’Asie pour ensuite se métisser à partir du XVIe siècle avec les innovations venues d’Europe.

Les premières cartes, inspirées par les traditions religieuses, en particulier du bouddhisme, faisaient de l’Himalaya le centre du monde. Les cartes des villes servent à mettre en valeur la centralité du pouvoir. Les atlas comprennent de magnifiques estampes représentant les paysages et les populations des différents territoires soumis à l’autorité du Prince.

Les Mongols ont étendus leurs domaines aux XIIIe et XIVe siècles jusqu’aux bordures de l’Europe. Les expéditions navales chinoises vont au XVe siècle jusqu’aux abords de l’Afrique. Avant même l’arrivée des Européens au XVIe, le monde connu s’est considérablement élargi. Ces récits et ces cartes servent aujourd’hui d’instruments de justification aux prétentions territoriales chinoises.

Les jésuites en Chine informent leurs interlocuteurs des découvertes européennes, en particulier celle du Nouveau Monde. Les nouvelles cartes montrent l’Europe, mais maintiennent l’Asie au centre. S’il n’existe pas encore de relation de voyage en Europe, les cartes en font la représentation avec de nombreux portraits d’Européens. L’assujettissement colonial à partir de la seconde moitié du XIXesiècle s’accompagne de la multiplication des images de paysages et de lieux dits occidentaux largement mythifiés.

Ce parcours est ainsi présenté de façon fort intelligente et donne une compréhension des cartes et des représentations qui l’accompagnent. La seule critique qui pourrait être faite est que cette recherche s’appuie surtout sur des œuvres d’art uniques à haute valeur esthétique alors qu’avec l’imprimerie, la cartographie européenne s’est diffusée sur le mode de la duplication mécanique. Il aurait fallu peut-être insister sur ce point. Mais il ne faut pas bouder son plaisir, aussi bien intellectuel qu’esthétique que représente ce livre.

BIBLIOGRAPHIE
Le Monde vue d’Asie : une histoire cartographique de Pierre Singaravélou et Fabrice Argounès, MNAAG Seuil, 2018, 192 p.

Pierre Singaravélou au Salon : 
Table ronde « L’histoire mondiale : histoire connectée » le 6 novembre à 19h (salle 2 – Aimé Césaire).
 
 
D.R.
 
2020-04 / NUMÉRO 166