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Essai
Dans le collimateur de Caïphe
« Véritable auteur de la condamnation de Jésus », Caïphe a joué un « rôle moteur » dans son arrestation et son procès.



Par Lamia el-Saad
2018 - 06


L’Histoire, la religion et les romanciers se sont intéressés à Pilate, Judas et même à Barabbas. Ils ont négligé le grand prêtre Caïphe, « le plus intelligent de cette bande des quatre ». Il a su se faire discret. Il a réussi à « ne pas se mettre en avant, alors qu’il orientait (…) la politique de Pilate ». Peu de temps après la condamnation de Jésus, Pilate et Caïphe furent révoqués pour avoir persécuté les Samaritains. 

Conseiller à la Cour de cassation, auteur de romans et de réflexions historiques, Nicolas Saudray imagine que Caïphe ait entrepris de rédiger, avec la complicité de son neveu Amos (jeune avocat maîtrisant le grec), une lettre destinée à l’empereur Caligula dans laquelle il fait valoir ses bons et loyaux services, notamment « la mise hors d’état de nuire d’un dangereux » Nazaréen. Ceci, dans l’espoir de retrouver son emploi.

Ce plaidoyer en faveur de Caïphe aurait pu faire craindre que le personnage ne cherche à exagérer l’importance de son rôle dans « l’Affaire Jésus », mais c’est un roman historique inspiré des meilleures sources, notamment des mémoires d’Agrippa et des Antiquités juives de Flavius Josèphe (militaire juif de haut rang, passé au service des Romains).

Les faits sont têtus. Jésus a été arrêté, non par des soldats romains, mais par la garde du grand prêtre. Certes, Caïphe avait bien des raisons de se méfier de ce « faux prophète ». Il n’a jamais reconnu l’authenticité de ses miracles, pourtant attestée par des « agents » romains qui en furent témoins. Ses paraboles à double sens et sa prétention à compléter et à parfaire une loi qui, pour Caïphe, était déjà parfaite ne présageaient rien de bon. De plus, cet « agitateur » aurait pu soulever les foules et faire alliance avec les Parthes (Perses), gouvernés par le fier Artaban, contre Rome. Mais le véritable motif de l’arrestation de Jésus est purement économique : le renvoi des marchands du Temple. Le grand prêtre qui sacrifiait les animaux vendus par ces derniers et tirait de juteux bénéfices de leur vente en fut particulièrement mécontent !

L’auteur examine de très près les raisons qui l’on poussé à ne pas faire juger Jésus par le Sanhédrin qu’il présidait et à le déférer à Pilate. Selon l’évangile de Jean, il aurait déclaré que la loi juive interdit de condamner à mort. Or, les lapidations ultérieures d’Étienne et de Jacques, « selon la coutume juive », prouvent le contraire. 

Mais les condamnations à mort du Sanhédrin « ne pouvaient être prononcées dès le premier jour des débats » ; il fallait prendre le temps de la réflexion. Si Jésus avait été jugé par ce tribunal, il n’aurait pu être condamné et exécuté avant la fête de la Pâque, ce qui représentait un risque ; « les apôtres auraient eu le temps de fomenter une sédition ». 
Le sadducéen Caïphe craignait, en outre, au sein du Sanhédrin, l’influence « prépondérante » et la rivalité du pharisien Gamaliel (vice-président) qui aurait fait innocenter Jésus d’autant plus facilement qu’il n’avait commis aucun délit. En effet, du point de vue de la loi juive, « l’aspiration à la royauté ne constitue pas une faute en soi ». La revendication de la royauté juive, prêtée à Jésus, constituait, en revanche, « une offense majeure à Rome qui avait supprimé cette royauté ».

Résidant à Césarée, Pilate ne se trouvait à Jérusalem, « métropole du fanatisme juif », qu’une fois par an, pour la Pâque. Il n’avait pas prévu de rendre la justice ce jour-là ; d’autres tâches l’attendaient. Seule « l’insistance » de Caïphe « pouvait rendre Jésus prioritaire ». 

« Dûment chapitré » par le grand prêtre, Pilate qui « ignore tout du Nazaréen » pose d’emblée la question cruciale : « Es-tu le roi des Juifs ? » Il ne fait strictement aucune allusion à sa divinité. Le Christ aurait donc été condamné sur un malentendu : non pour avoir prétendu une royauté céleste, mais bien pour avoir prétendu à une royauté terrestre. L’écriteau INRI est sans équivoque. S’il en avait été autrement, l’inscription aurait été : « Jésus le Nazaréen faux dieu » ou encore « Jésus le Nazaréen roi du Ciel ». 

À noter que « juif » désigne une personne de religion juive alors que « Juif » désigne un habitant de Judée. Agrippa, petit-fils d’Hérode, obtint la couronne d’Israël grâce à l’empereur Claude « avec qui il a été élevé ». Il fut « le dernier véritable roi des Juifs ; son fils Agrippa II n’étant que l’ombre d’un souverain ».

Pilate et Caïphe n’obtinrent jamais leur retour en grâce et moururent « dans l’obscurité ». 

Contrairement aux autres romans historiques qui présentent l’inconvénient de mêler le vrai et le faux, celui-ci est suivi d’une longue postface qui établit scrupuleusement la vérité des faits historiques et ne laisse pas le lecteur sur sa faim.
 
 BIBLIOGRAPHIE 
Toi, Caïphe, juge de Jésus de Nicolas Saudray, Michel de Maule éditions, 2017, 210 p.
 

 
 
"Ecce homo" (l'expression est de Ponce Pilate) d'A
 
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