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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Essai
Désordres à la Maison blanche


Par Michael Young
2018 - 02


Comme un Saint Simon moderne, Michael Wolff, dans son livre Fire and Fury : Inside the Trump White House, nous décrit, acide à l’appui, les coulisses d’une cour américaine bête et méchante. Il nous encourage à voir dans la personne du président américain un incompétent, tellement peu convaincu par ses chances d’être élu, qu’il avait refusé de financer sa propre campagne présidentielle.

Mais est-ce que tout est vrai dans le livre de Wolff, se demandent certains ? La question étonne. Car en dehors des citations et anecdotes assassines rapportées par l’auteur, qui aurait interviewé plus de 200 personnes dans l’entourage du président, l’histoire racontée est en grande partie celle que nous suivons quotidiennement depuis plus d’un an sur les chaînes de télévision et les réseaux sociaux. En regroupant les épisodes du mélodrame Trump, Wolff crée une trame qui nous permet de mieux interpréter une année très différente des autres.

Cependant si l’on peut relever un problème, ce serait dans le style de journalisme choisi par Wolff. L’auteur adopte une structure narrative plutôt littéraire, quasi romanesque, où il n’est pas toujours clair qui est la source de l’information. Dans ce contexte, l’on peut se demander si l’auteur n’a pas écarté des détails ou des nuances qui pouvaient quelque peu affaiblir son récit.

Le thème central de Fire and Fury relate la guerre entre deux camps à l’intérieur de la Maison blanche pendant la première année du mandat Trump – le camp de Stephen Bannon, « chief strategist » de la Maison blanche remercié en août 2017, et celui de Ivanka Trump et de son mari Jared Kushner que Bannon appelle, avec dédain, « Jarvanka ». À travers des fuites de part et d’autre, les deux camps se sont affaiblis mutuellement, permettant ainsi au monde entier de suivre les aléas d’une administration chaotique. 

Deux incidents en particulier ont marqué cette guerre froide : le renvoi du directeur de la FBI James Comey en mai 2017, et la réponse de la famille Trump à la révélation par le New York Times de la rencontre du fils de Donald Trump avec une avocate russe, proche du Kremlin. L’avocate aurait proposé des informations compromettantes sur la candidate démocrate Hillary Clinton, en pleine campagne présidentielle. S’il était prouvé que Donald Trump était au courant d’une tentative de collaborer avec une puissance étrangère pour influencer les résultats d’une élection, cela pourrait mener à sa destitution.

D’ailleurs, suite à l’affaire Comey, le département de la justice a nommé un investigateur, Robert Mueller, pour enquêter sur cette possibilité. Mueller veut surtout aussi voir si l’administration a cherché à entraver la justice en écartant Comey. 

Pour Wolff, cette décision a été prise par Jarvanka, non pas à cause de l’affaire russe, mais plutôt parce que le couple sentait que le département de la justice et la FBI cherchaient à s’immiscer dans leurs finances personnelles. Bannon, de son côté, s’est opposé violemment au renvoi de Comey, avertissant Trump que « cela deviendrait l’affaire la plus grande du monde ».

En ce qui concerne la rencontre avec l’avocate russe, Bannon est choqué par la façon avec laquelle le président répond à la nouvelle, sans conseil d’avocat, par le biais d’un conclave sur l’avion présidentiel avec Jarvanka et leurs conseillers en communication. Pour Bannon le danger est que, si la réponse concoctée par Trump s’avère être fausse, Mueller pourrait utiliser l’accusation d’une entrave à la justice pour ranger les participants les uns contre les autres, et ainsi coincer le président et potentiellement le démettre de ses fonctions. Cependant Wolff ne se prononce pas sur une complicité entre la campagne Trump est les russes. 

Le plus intéressant dans Fire and Fury est de voir à quel point Trump est méprisé par ceux qui l’entourent. Obsédé par la télévision, vaniteux, ne lisant rien, n’écoutant personne –  un « bébé en chef », pour citer l’acteur Robert De Niro –, Trump d’après Wolff provoque régulièrement chez ses conseillers une réflexion sur le vingt-cinquième amendement de la Constitution qui porte sur la destitution d’un président. 

Wolff, comme beaucoup d’autres, se demande comment un personnage aussi médiocre a pu devenir président des États-Unis. Sans doute dans un pays dominé par la télé-réalité, une telle aberration est possible tout comme l’idée saugrenue que Oprah Winfrey pourrait s’opposer à Trump en 2020 ! L’Amérique a toujours eu un faible pour les prophètes bidons, mais le livre de Michael Wolff démontre que malgré tout, les institutions ont du mal à s’accommoder aux charlatans.


 BIBLIOGRAPHIE
 
Fire and Fury : Inside the Trump White House de Michaeal Wolff, Henry Holt and Co, 2018, 336 p.
 
 
 
© AP / Nati Harnik
 
2020-04 / NUMÉRO 166