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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Essai



Par Valérie Azhari
2017 - 12


Communauté à part entière du Liban, les Arméniens ont longtemps fait figure d’absents de la mémoire collective du pays et pourtant leur contribution à l’histoire du XXe siècle libanais est indéniable. Plus de dix ans après la publication de l’ouvrage Les Arméniens?: la quête d’un refuge (Presses de l’Université Saint-Joseph, 2007), pionnier dans le domaine, un deuxième opus, Les Arméniens du Liban?: cent ans de présence, vient compléter cette histoire avec des textes d'une trentaine d'auteurs et largement illustrée par des photos inédites. Selon Lévon Nordiguian, «?il y a deux niveaux de lecture dans ces deux livres sur les Arméniens, la photo y occupe une place importante et constitue un document à part entière?». 

Divisé en quatre parties, Cent ans de présence raconte les Arméniens du général au particulier. À chaque ligne on décèle le courage dans les épreuves. La richesse iconographique donne une nouvelle dimension à l’histoire du Liban. Cette documentation aidant, on saisit qu’on ne peut envisager l’histoire des Arméniens de manière isolée et indépendamment de l’histoire de la région. Les différents domaines couverts offrent au lecteur un large éventail, que l’on s’intéresse à la question culturelle (théâtre, photo, religion…), sociale (récits, témoignages), politique ou économique. Pour Carla Eddé cet ouvrage «?s’adresse à tous les Libanais, qu’ils soient d’origine arménienne ou non, car les histoires des Libanais se recoupent et se fondent avec une originalité du côté des Arméniens (…)?».

Ce livre est à l’honneur des Arméniens puisqu’il souligne leur contribution à la vie politique mais surtout culturelle et sociale du Liban. Force est de constater que leurs «?vies?» se sont naturellement prêtées au jeu et ont nécessairement contribué au développement du Liban et particulièrement de Beyrouth. Ainsi, trouver sa place dans une société est un processus en soi et ce livre permet de comprendre «?comment se sentir en phase avec une société, tout en conservant des spécificités, sorte de subculture dans une culture ambiante dominante?», indique Carla Eddé. En retraçant les «?vies?» et l’histoire des Arméniens, ce livre balaie les préjugés. La présence arménienne à Bourj Hammoud, Mar Mikhael et Tyr, montre aussi qu’il y a «?une sorte de géographie arménienne du Liban. Bien sûr il y a Beyrouth, mais également, Anjar, Tyr, des lieux dont les histoires se croisent.?» (Carla Eddé) 

Mine d’informations, ce beau livre donne le ton et peut servir d’outil de travail aux chercheurs. L’histoire de la photographie occupe une place de choix dans cet opus et à ce propos Lévon Nordiguian affirme qu’il ne s’agit pas de «?la photographie spécifiquement arménienne mais l’histoire de la photographie au Liban, très peu de photographes arméniens ayant fait de la photo arméno-arménienne?»... La contribution arménienne à l’histoire, au théâtre, à l’architecture est aussi soulignée à raison de l’enthousiasme qu’elle atteste… 

Grâce aux témoignages et aux différents récits de vie, l’on ne peut s’empêcher d’être admiratifs face aux combats qui furent menés. Dans l’après-génocide, il y a des parcours difficiles, une intégration semée d’embuches mais surtout un processus de construction et de marquage identitaire. L’on découvre alors que ces réfugiés qui venaient de l’Empire ottoman passent par un processus d’«?arménisation?», la plupart étant turcophone. La question d’intégration des Arméniens reste une question centrale mais elle n’est pas «?abordée de front?» nous révèle Lévon Nordiguian. On la saisit à travers les différents témoignages même si l’installation de cette communauté coïncide plus ou moins avec la période de la déclaration du Grand-Liban. Lévon Nordiguian avoue que notre «?système politique offrait des conditions exceptionnelles pour être libanais et arméniens à la fois (…)?» d’où l’intérêt du communautarisme bien compris, et tant décrié par ailleurs?!

Gardons à l’esprit que l’histoire des Arméniens du Liban est composée de plusieurs temps?: le temps du traumatisme, celui de la reconstruction, celui de l’intégration et enfin celui de l’unification. C’est à partir de là que le Liban deviendra le centre de la diaspora arménienne. 

Un ouvrage passionnant qui s’est attaché à rapporter les émotions arméniennes et leur modulation, trop souvent négligées.

 BIBLIOGRAPHIE
Les Arméniens du Liban?: cent ans de présence sous la direction de Christine Babikian Assaf, Carla Eddé, Lévon Nordiguian et Vahé Tachjian, Presses de l’Université Saint-Joseph, 2017, 511 p.
 
 
 
D.R.
 
2020-04 / NUMÉRO 166