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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Essai
De Rebus maronitarum


Par Dima de Clerck
2017 - 11
C’est sur l’instigation d’Henry Laurens, professeur au Collège de France, qui percevait chaque article comme « un joyau d’impertinence scientifique », que cette compilation a vu le jour. L’auteur de ce recueil y revient sans complaisance sur certains dogmes de l’histoire maronite et inaugure par là un processus inédit de révision historique.

Youssef Mouawad tombe par hasard à Lille sur un opuscule de l’archevêque Nicolas Mourad. Il y découvre la Lettre de Saint Louis aux maronites, faisant de leur nation une « partie de la nation française » et témoignant d’une intemporelle fraternité franco-maronite ; mais également une déclaration attribuée à Bonaparte lors de sa Campagne de Syrie reconnaissant la francité des maronites « depuis des temps immémoriaux ». Il n’en faut pas plus pour l’émérite avocat, qui maîtrise à perfection la méthodologie de l’historien, pour entamer son investigation et démontrer le caractère apocryphe de cette lettre et cette déclaration.

Dans cette foulée, l’analyse pertinente de trois écrits par des chrétiens libanais « émergents » montre que la modernité touche en premier les élites chrétiennes qui acceptent la nouvelle donne et recherchent l’intégration à un modèle de société européen, sans pour autant se détacher de leur mode de vie oriental. La surcompensation par le « tafarnouj » et le besoin des chrétiens de se distinguer est emblématique de la place qu’ils tiennent dans la société arabo-musulmane. Dès la fin du XIXe siècle, leurs élites fréquentent des écoles catholiques, en particulier le Collège jésuite. L’auteur, lui-même élève des jésuites, décortique leur système d’enseignement. Il parle d’acculturation, de conditionnement, de formatage et se pose la question de savoir si la « désorientalisation » de l’élève au Collège a mené à sa désorientation et à son aliénation d’avec son environnement arabo-musulman. Il finit par reconnaître que, dans ce qui paraissait comme un univers carcéral régi par des règles et un horaire draconiens, le Collège était paradoxalement « autrement plus égalitaire et plus démocratique que le Mont Liban des castes ou le Beyrouth de la fortune et des belles manières ».

D’ailleurs, les maronites vont payer cher leur francophilie sur fond de Grande guerre, d’épidémie et de famine. Un premier texte dans ce sens décrit le jeu de subtile manœuvre entre Jamal Pacha, le puissant gouverneur ottoman et le patriarche maronite Hoyek, qu’il veut à tout prix soumettre. Tout y est : menace, carotte, bâton, double langage, humiliation, surenchère de politesses réciproques simulées... La réaction du Patriarche est révélatrice du statut de dhimmitude d’une communauté à « faible coefficient de sécurité ». Le deuxième texte est une étude magistrale consacrée à Jamal Pacha, sujet de prédilection de Youssef Mouawad. N’a-t-il pas été en ce début d’octobre 2017, sur les traces de Jamal dans le Caucase, à Tiflis, où il fut exécuté par un commando arménien ? Ayant décrété un blocus alimentaire sur le Mont Liban, Jamal ne peut qu’être tenu pour responsable en grande partie de la famine qui décima plus du tiers de sa population (200 000 personnes). Cette catastrophe sera passée sous silence, car « la misère n’est jamais héroïque ». On préfère alors commémorer les 40 « martyrs », toutes communautés confondues, pendus par Jamal Pacha à Beyrouth, pour leur arabisme ou libanisme. Il y aura même pour cela un litige sur le choix de la date !

Les deux derniers articles traitent des images du juif chez les chrétiens uniates et maronites au XIXe et jusqu’à 1920. 

En plus d’une analyse subtile et d’un déroulé de démonstration rigoureux et captivant, la verve, la drôlerie même, et le mordant de Youssef Mouawad sont formidables tout au long de l’ouvrage !


BIBLIOGRAPHIE
Maronites dans l’histoire de Youssef Mouawad, L’Orient des Livres, 2017, 232 p.

Youssef Mouwad au Salon :
Rencontre autour de Maronites dans l’histoire le 11 novembre à 19h30 (salle Andrée Chedid)/ Signature à 20h30 (L’Orient des Livres).
 
 
D.R.
Les maronites vont payer cher leur francophilie.
 
2020-04 / NUMÉRO 166