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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Essai
Peut-on sortir le monde arabe de la barbarie ?


Par Oliver Rohe
2017 - 11
Symptômes morbides pose la question posée depuis toujours au monde arabe, dans le contexte où, de surcroît, elle paraît la plus saugrenue : peut-il prétendre à l’émancipation ? Est-il en mesure, lui qui souffre d’inégalités et de privations colossales, d’un soulèvement qui ne prendrait pas, à terme, le visage familier du despotisme séculier ou religieux ? Existe-t-il un camp démocrate capable, sur les plans de l’idéologie et de l’organisation, de produire un changement radical, durable surtout, dans les structures économiques, sociales et politiques de la région ? La tentation est souvent grande – et le chaos présent y encourage – de répondre par la négative au nom, d’abord, des défaites du nassérisme, de la révolution palestinienne et, plus généralement, des idéaux et des expériences progressistes, toutes brandies comme des avertissements, des présages ; eu égard, surtout, au nom de cet essor irrésistible de l’islamisme qui serait quelque chose comme le langage naturel de la révolte arabe, un langage pur, authentique, antérieur ou débarrassé des fâcheuses influences occidentales. Ces deux arguments que peuvent aussi bien défendre les puissances étrangères, les gouvernants locaux, certains chercheurs et, pour finir, une partie de la population arabe convertie aux discours qui se tiennent sur elle, Gilbert Achcar les réfute par les faits, à travers le récit des étapes et des mécanismes ayant conduit à l’échec du Printemps arabe, singulièrement en Syrie et en Égypte. Si, au moyen de la guerre ou de la répression policière, l’aspiration aux réformes a été étranglée au bénéfice d’un affrontement, selon Achcar, entre les deux barbaries symétriques que sont l’autoritarisme et l’islamisme radical, il n’y a pas lieu d’inscrire pour autant la désillusion actuelle dans un quelconque destin ou malédiction arabe. C’est dans le processus historique lui-même, dans ce réseau complexe d’événements, de décisions, de contrecoups mobilisant un nombre considérable de protagonistes que se trouvent les causes de la déroute. Parmi celles-ci, Achcar s’étend en particulier sur les stratégies réactionnaires des puissances régionales et, pour le cas de la Syrie, sur les positions retorses d’Obama dont l’indécision cynique, la réticence toute hamletienne à trancher, façonnent les événements dans le sens de la catastrophe même quand il croit ne pas agir – en l’espèce, ne pas franchement armer l’opposition syrienne pour éviter que les armes ne tombent dans des mains inamicales n’a pas empêché l’État islamique de s’approprier l’arsenal américain de l’armée irakienne. Figurent enfin dans ce diagnostic historique les erreurs commises par les principaux porteurs du changement, pactisant ici avec l’ennemi, se divisant et s’alliant là avec le diable. Dire cependant que des erreurs furent commises – au lieu de s’en remettre à la fatalité ou l’essence –, c’est dire que les choses auraient pu prendre une tournure autre, qu’elles étaient et sont réversibles à l’avenir, que les raisons et le potentiel du soulèvement ne sont pas perdus. Reste à savoir, et Achcar ne peut nous le préciser, quel peuple se chargera de le ranimer. 

BIBLIOGRAPHIE

Les Symptômes morbides : La rechute du soulèvement arabe de Gilbert Achcar, Actes Sud, 2017, 288p. 

Gilbert Achcar au Salon :
Table ronde autour de La Révolution tranquille de Samir Frangié le 4 novembre à 18h (Agora)/ Table ronde « Aux origines du mal arabe » le 10 novembre à 19h30 (Agora)/ Signature de Les Symptômes morbides à 20h30 (L’Orient des Livres).
 
 
D.R.
Il n’y a pas lieu d’inscrire pour autant la désillusion actuelle dans un quelconque destin ou malédiction arabe.
 
2020-04 / NUMÉRO 166