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Essai

Lénine appelle à une révolution prolétarienne dont la violence sera encore plus terrible.

Par Henry Laurens
2017 - 06

Dominique Colas est professeur émérite en science politique à l’Institut d’études politiques de Paris. Depuis une quarantaine d’années, il travaille sur le léninisme. Ce nouvel ouvrage peut être ainsi considéré comme une synthèse de ses recherches. Si le livre se présente comme une biographie, c’est avant tout la pensée et l’action de Lénine analysées dans le contexte qui va de sa prise de pouvoir en 1917 à sa mort en 1924.

En quelque sorte le livre se trouve à la rencontre entre une pensée, une volonté et le contexte de la révolution russe. La pensée est première avec l’invention d’une théorie originale du parti révolutionnaire qui importe la conscience de classe chez les ouvriers. Les intellectuels socialistes sont en quelque sorte les éducateurs de la classe ouvrière et les ouvriers qui auront acquis une conscience de classe ferme deviendront membres du parti révolutionnaire. Ce dernier doit fonctionner selon le modèle de l’usine et de l’armée, c’est-à-dire un fonctionnement autoritaire destiné à assurer la prise du pouvoir par la force.

Son action passe par un maniement incessant de la parole et de l’écrit qui sont des armes et des mots d’ordre. Dès lors, citer Lénine n’est pas commenter la révolution russe, mais se focaliser sur un lieu de pouvoir crucial. L’auteur rejette l’explication des événements par les circonstances pour insister sur la centralité de l’action de Lénine dans la constitution d’un nouvel ordre social.

Depuis qu’il a dénoncé la «?guerre impérialiste?» commencée en 1914 et qui représente le dernier stade du capitalisme, Lénine appelle à une révolution prolétarienne dont la violence sera encore plus terrible. Il faut une horrible guerre des classes pour mettre fin à toutes les guerres. C’est un fanatique prêt à la violence extrême pour permettre à l’humanité d’accéder au bonheur.

La prise de pouvoir en 1917 n’est que la poursuite de la guerre des classes qui ne peut se conclure que par l’extermination sanglante des ennemis. La première décision est la création de la Tchéka, police dont la fonction est de renforcer la dictature, sans aucun contrôle que celui du parti unique. L’épuration de la société passe par la liquidation des «?nuisibles?», des «?parasites?». La métaphore renvoie directement aux insectes nuisibles, aux puces, aux punaises… L’autre métaphore est la nécessité d’utiliser des méthodes barbares contre la barbarie.

Ainsi la dictature du prolétariat est d’abord une dictature du parti sur le prolétariat, c’est-à-dire la fin de toute autonomie politique ouvrière. Dès 1918, il appelle la paysannerie pauvre à liquider les paysans moyens, les accapareurs, les «?koulaks?». C’est une terreur de masse qui aboutit inéluctablement à la disette et à la famine. Le culte de la personnalité a débuté avec la prise du pouvoir et marque l’obstination à ériger la «?volonté unique?» en principe de la dictature qui s’incarne en un individu.

La dictature du parti en Russie est la première étape d’une guerre civile mondiale. Cela passe par la définition de l’ennemi ou plutôt des ennemis. Il y a d’abord ceux qui se caractérisent par leur hostilité délibérée, c’est-à-dire tous ceux qui s’opposent au parti que ce soit les autres socialistes, les démocrates, les «?blancs?» et tous ceux qui se révoltent contre la révolution, qu’ils soient paysans ou soldats. Il y a ensuite les ennemis par nature qui n’ont pas besoin d’avoir une intention hostile comme les bourgeois ou les koulaks. Ces groupes d’ennemis se divisent ensuite en sous-catégories. Si le parti épure la société, il doit lui-même être régulièrement épuré. La traitrise doit être combattue au sein même du parti.

En ce centième anniversaire de la révolution, il est bon de se rappeler ce qu’était le léninisme, une pensée et une pratique de la guerre sans pitié contre les ennemis de classe qui a façonné un État et une société. Sans revenir à l’explication simpliste par les circonstances, il est bon de reprendre aussi les éléments sociologiques de la révolution. L’année 1917 a connu en Russie un déferlement extraordinaire de violences, Lénine ne l’a pas créé mais il a su l’utiliser. La destruction, y compris physique, des anciennes classes dominantes au sens très large du terme, a permis une extraordinaire ascension sociale d’éléments issus de milieux populaires qui devaient tout au nouveau régime. 

La lecture de ce livre est bien sûr indispensable parce qu’elle est une lecture glaçante des écrits et des actions de Lénine que l’on risquerait sinon de nouveau vouloir euphémiser. Elle donne aussi des éléments de comparaison avec les violences de notre temps.
 
 
BIBLIOGRAPHIE
 
Lénine politique de Dominique Colas, Fayard, 2017, 532 p.

 
 
D.R.
 
2020-04 / NUMÉRO 166