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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Essai



Par Antoine Courban
2016 - 07
On oublie parfois que la qualité de citoyen résulte d’un accouchement difficile. C’est au milieu de la violence que le courage peut mener le plus ordinaire des humains à relever le défi de la logique de mort au nom de la culture de vie. Telle est la première impression qu’on tire de la lecture des papiers de Renée Rizk qu’elle vient de colliger et de publier. Les plus âgés des Libanais se rappellent encore ces petites réflexions que Renée Rizk égrenait quotidiennement sur la Voix du Liban durant les premières années de la guerre civile. 

Quarante-sept de ces petits textes ont été sélectionnés et rassemblés, dont certains manuscrits sont reproduits en fac-similé. Il y a quelque chose de très touchant à regarder ces pages de cahier d’écolier remplies d’une calligraphie arabe fine, propre, régulière, élégante et étonnamment lisible. On devine, en filigrane, la dame organisée, soucieuse de l’ordre et du détail, ce qui explique son engagement dans la vie publique. Ces lignes ont été souvent griffonnées à la hâte, en fonction de l’actualité brûlante des débuts de la guerre civile, mais elles n’en reflètent pas moins une pensée claire et un sens inné de la construction d’un discours cohérent et bien fait.

Renée Rizk incarne, à travers ces billets, l’idéal de Périclès qui, dans son fameux discours que rapporte Thucydide dans l’Histoire de la Guerre du Péloponnèse dit?: «?Un homme libre qui ne s’occupe pas de politique ne peut être qualifié de citoyen paisible mais de citoyen inutile.?» Renée Rizk avoue elle-même son amour profond de la chose publique et de la recherche du bien commun qui semble être sa deuxième nature.

Les billets qu’elle nous offre n’avaient pas pour but l’analyse politique ou géostratégique, même s’ils se situent dans le contexte d’une actualité spécifique. Elle s’adresse à toute femme citoyenne où qu’elle soit?: sur les barricades, derrière les lignes de front, dans les abris, noyée dans les tâches ménagères, éduquant les enfants, s’occupant de mille et un détails de la vie. Dans son introduction, Joseph Hachem la compare à un stratège militaire qui distribue les positions et les rôles de chacun. Effectivement, le style est celui de ces grandes figures féminines militantes qui ont naturellement l’esprit du leadership. Chaque billet débute invariablement par l’interpellation?: «?Citoyenne, ma sœur?»?; le ton intimiste utilisé parvient à rendre présente cette citoyenne invisible, simple auditrice anonyme de la voix de Renée Rizk diffusée par le poste de radio.

Elle partage ses réflexions avec cette sœur, sur des thèmes très variés mais qui pointent tous dans la direction de l’amour d’une patrie, de la recherche du bien commun, de l’esprit de citoyenneté et de l’allégeance à l’État de droit. «?Entr’aidons-nous?», «?À la recherche d’un bouquet d’espoir?», «?Pourquoi as-tu peur???», «?Où est ta conscience ô franc-tireur?», «?Rendez-vous avec l’espoir?», «?Tribulations d’une amie?» et bien d’autres titres qui montrent combien l’auteur est consciente du rôle éminent de la femme et de la société civile durant les périodes de troubles et de conflits armés.
Pour ceux qui ont vécu cette période et qui s’en souviennent encore, les billets de Renée Rizk sont une véritable purification de la mémoire car ils dévoilent le caractère vain de la violence face à la puissance de la résilience.

Pour les générations plus jeunes, ces billets sont de petits trésors reflétant les états d’âme de leurs aînés durant ce long conflit.

Pour tout un chacun, ces mêmes billets témoignent de la place éminente de la femme comme gardienne de la civilisation, de la vie en commun, de la valeur inestimable de la solidarité, d’une certaine échelle de valeurs, mais aussi de l’exceptionnelle résilience dont est capable une société civile et qui lui permet de survivre aux pires tragédies.

Pour les générations à venir, les textes de Renée Rizk sont intemporels car ce sont d’authentiques leçons de civisme.

 
 
D.R.
 
BIBLIOGRAPHIE
Citoyenne, ma sœur (Oukhti el-mouwatina) de Renée Rizk, 2016, 190 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166