Nous n’avons en général de la guerre dite de Sept Ans que quelques images un peu confuses renvoyant à une « guerre en dentelles » ou au film magnifique de Kubrick, Barry Lindon. En quelque sorte, une guerre du temps de la douceur de vivre. Bien entendu, c’est largement une mythologie. Dans cette guerre comme dans toutes les autres, la misère du combattant a pu être terrible. Voltaire rappelait dans Candide qu’il s’agissait de « boucherie héroïque ».

Alors quelle est la spécificité de cette guerre et de quelle nature est l’intérêt qu’on lui porte ? Elle est d’abord une des premières guerres mondiales que l’Europe a engagées. Elle a même commencé en Inde et en Amérique avant de s’étendre ensuite au continent européen.

Ce très bon livre comble une grave lacune dans nos connaissances. Il couvre bien évidemment l’histoire diplomatique et militaire mais apporte tout autant sur les mutations de l’esprit public et les novations de l’expression dans l’opinion.

Tout commence dans l’Ohio où Français et Britanniques s’opposent avec leurs alliés indiens dans une guerre non déclarée. En 1754, un détachement de Britanniques commandé par le jeune George Washington tue un officier français venu parlementer. Le véritable coupable semble être un chef indien allié des Britanniques. Ainsi peut débuter une guerre mondiale. Les Français répliquent et enregistrent un certain nombre de succès. Les deux pays décident d’envoyer des renforts. Les Britanniques attaquent en pleine paix les navires français dans l’Atlantique en 1755. C’est la naissance de l’accusation justifiée de « perfide Albion » qui a survécu jusqu’à nos jours.

Une autre guerre parallèle se déroule en Inde où Français et Anglais se combattent déjà en alliance avec les États successeurs de l’Empire moghol qui vient de s’effondrer. Puis on passe à l’Europe elle-même où les alliances se renversent : la Prusse passe dans le camp anglais tandis que la France s’allie avec l’Autriche qui pendant plus de deux siècles avait été son ennemi héréditaire. Il y aura donc deux guerres, l’une ultramarine en Amérique et en Inde, l’autre continentale en Europe, essentiellement en Allemagne.

Les Français et leurs alliés remportent d’abord un grand nombre de succès puis ce sera ensuite une longue série de défaites qui conduiront à la paix humiliante de Paris en 1763. La France perd ses possessions continentales américaines et la Grande-Bretagne commence la conquête de l’ensemble de l’Inde. Le sort du monde en est changé.

Les discours nouveaux sont porteurs de significations importantes. En France, c’est le début de l’esthétique néo-classique qui dominera la période révolutionnaire. Le sang inonde déjà les sillons dans les premières poésies de la guerre. En Angleterre, Pitt se présente comme le chef des « patriotes » qui remettent en cause la corruption du système politique. Les défaites françaises conduisent à l’opposition d’une France avide de grandeur, de vertu et d’esprit martial à une autre France petite, intrigante et corrompue que l’on identifie avec Versailles. C’est le début du divorce entre une partie de l’opinion publique et la monarchie. Pourtant Choiseul en 1760 organise un véritable sursaut patriotique qui se révélera insuffisant.

On voit ainsi émerger un monde nouveau. La guerre a précipité en France la naissance du citoyen, outre-Manche elle annonce une réforme du système politique. Outre-Atlantique, elle fait débuter le processus de séparation entre les colons et la monarchie. On va ainsi bientôt entrer dans le si complexe temps des révolutions. Dans la même foulée, cette guerre marque le début de la prépondérance militaire européenne sur toutes les puissances de l’Ancien-Monde. L’exemple indien montre que la conquête de l’Orient peut commencer.

Le lecteur trouvera dans ce livre tous les détails d’une histoire diplomatique et militaire, très utile pour comprendre la grande mutation géopolitique de ces années décisives, mais il pourra aussi apprécier la richesse d’une histoire culturelle qui accompagne ce grand basculement vers un monde nouveau qui est celui de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Il est là pour rappeler que l’on peut discerner les débuts de la modernité européenne dans les pratiques militaires et les discours de l’opinion publique plus que dans une philosophie dite des Lumières qui n’est qu’un des aspects du début de la grande mutation.