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Essai

Le cerveau a-t-il un sexe?? Quelles sont les différences neurologiques entre les hommes et les femmes?? Quelles sont les parts de l'inné et de l'acquis?? Catherine Vidal fait un état des lieux des sciences du cerveau, au-delà des préjugés.

Par Sylviane Moukheiber
2016 - 06

«Tu n'as pas le sens de l'orientation, c'est normal puisque tu es une femme.?» Qui n'a pas entendu cette phrase stéréotypée, cette idée toute faite, que l'on ne contredit plus, puisque nous sommes convaincus que le cerveau des femmes est différent de celui des hommes?? Elles sont nombreuses ces croyances que l'on nous a instillées, comme par exemple, l'aptitude des femmes pour ce qui touche au langage, ou au contraire, leur désamour pour les mathématiques. Tout cela, serait prédéterminé. Mais l'avènement des neurosciences a ouvert un champ de recherche infini, celui jusqu'alors méconnu du cerveau, qui commence à révéler ses mécanismes. 

Catherine Vidal, neurobiologiste, s'est donné pour mission de s'attaquer à ces préjugés et de faire connaître au plus grand nombre les résultats des recherches scientifiques dans ce domaine. Dans un ouvrage intitulé Nos cerveaux, tous pareils tous différents?!, elle fait une synthèse des théories qui s'affrontent aujourd'hui, dans le monde de la biologie et des sciences du cerveau, tout en ayant à cœur de dynamiter les idées reçues, sciemment véhiculées au travers des âges. D'un côté, les défenseurs d'un déterminisme biologique inné, qui soutiennent que les cerveaux des filles et ceux des garçons sont câblés différemment depuis la naissance, sous l'influence des gènes et des hormones. De l'autre, les partisans de l'acquis, qui font valoir les découvertes récentes sur la «?plasticité cérébrale?», qui montrent que le cerveau se construit en fonction des expériences vécues, et que rien n'est jamais figé dans les neurones.

Comment se fabriquent les garçons et les filles??
Des études ont suivi les comportements dès la naissance de filles et de garçons, les ont analysés en tenant compte du développement biologique et de l'influence de l'environnement. On constate des divergences dans l'interprétation des résultats, et la persistance de certains chercheurs à certifier que la préférence des filles à jouer à la poupée et celle des garçons avec un camion serait innée. Mais de nombreux autres paramètres interviennent, comme la différence de comportement des adultes en fonction du sexe de l'enfant et leur influence sur le choix des jeux. Par ailleurs, des études ayant comparé les cerveaux des deux sexes, sans prendre en compte la taille du cerveau à un moment donné, ont conduit à des conclusions erronées sur l'origine et la taille des matières grises et blanches, attribuées hâtivement à des facteurs hormonaux ou génétiques. En conclusion, les différences d'aptitudes que l'on peut constater au cours de l'évolution ne sont pas dues à des différences de capacité cérébrales présentes dès la naissance. C'est dans un environnement social et culturel qu'il faut chercher les origines.

La plasticité cérébrale
L'enjeu majeur de ce livre est de mettre l'accent sur cette découverte fondamentale qu'est la «?plasticité cérébrale?». «?Un des apport de “l'IRM”, écrit Catherine Vidal, est d'avoir révélé les extraordinaires propriétés de la “plasticité” du cerveau humain. Au cours des apprentissages et des périodes vécues, on peut “voir sur un écran” se modifier la structure du cerveau au fur et à mesure que se créent de nouvelles connexions entre les neurones. Rien n'est jamais figé dans nos cerveaux, quels que soient les âges de la vie. Les anciennes théories qui prétendaient que tout était figé plus tôt, avant six ans, sont révolues.?»

Le cerveau est donc un organe dynamique qui évolue tout au long de la vie, en fonction des apprentissages et des expériences vécues. La découverte de la «?plasticité cérébrale?», ouvre ainsi un large champ des possibles. Elle apporte aussi un éclairage fondamental sur les mécanismes neurobiologiques de construction de nos identités sexuées, en interaction avec l'environnement social et culturel. Cela conforte les recherches en sciences humaines sur le genre, qui analysent comment se forgent les rapports sociaux et les inégalités entre les femmes et les hommes. 

Malgré cela, les stéréotypes sexistes ont encore la vie dure, car la science n'est pas neutre. Depuis l'émergence de la neurobiologie, la culture et l'idéologie imprègnent les recherches sur les différences entre cerveaux féminins et cerveaux masculins. «?Dans le contexte actuel où les thèses essentialistes ressurgissent pour attaquer les études de genre, il est crucial, écrit Catherine Vidal, que les biologistes interviennent dans les débats publics pour remettre en cause l'argument de la “nature” justifiant les différences de rôles et de position des hommes et des femmes dans la société. Si les filles et les garçons ne font pas les mêmes choix d'orientation scolaire et professionnelle, ce n'est pas dû à des différences de capacités cognitives de leurs cerveaux. Si les femmes ont majoritairement la charge des tâches domestiques et des enfants, ce n'est pas à cause d'un instinct maternel naturel. Si les femmes sont victimes de violences, la faute n'en revient pas à la testostérone qui rendrait les hommes agressifs.?»

Toute la vie pour apprendre
Les connaissances actuelles en neurosciences ont été une révolution dans la compréhension de l'humain. De nouvelles perspectives s'ouvrent, car l'on sait désormais que les destins des filles et des garçons ne sont pas programmés dans leurs cerveaux à la naissance. Avec cette découverte majeure de la «?plasticité cérébrale?», l'acquisition des connaissances peut se faire tout au long d'une vie, puisque le cerveau continue d'évoluer. Ainsi, il est désormais possible d'envisager d'apprendre par exemple à jouer d'un instrument de musique à plus de soixante ans si l'envie nous chante, cela est même recommandé. Une formidable avancée pour lutter aussi contre toutes les formes d'inégalités, sexistes, racistes, élitistes, puisqu'elle met à mal l'ordre biologique. Mais aussi, une bouffée d'espoir, alors que s'allonge la durée de la vie, que tout n'est pas définitivement joué.



Catherine Vidal, directrice de recherche honoraire en neurosciences à l'institut Pasteur, co-anime le groupe «?Genre et Recherches en santé?» au sein du Comité d'éthique de l'Inserm. Elle sera à Beyrouth pour une conférence le mercredi 8 juin sur le thème «?Le Cerveau a-t-il un sexe???», dans le cadre des rencontres de la Résidence des pins.
 
 
© Claude Truong-Ngoc
« Rien n'est jamais figé dans nos cerveaux, quels que soient les âges de la vie. »
 
BIBLIOGRAPHIE
Nos cerveaux, tous pareils tous différents ! de Catherine Vidal, éditions Belin, 2015, 76 p.
 
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