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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Essai
La France coloniale, plaie toujours ouverte


Par Samir Frangié
2016 - 05
Les Mémoires dangereuses, fruit d’un dialogue entre l’historien Benjamin Stora et le romancier Alexis Jenni, auteur de L’Art français de la guerre (prix Goncourt 2011), analyse la logique des crispations identitaires que les attentats de janvier et novembre 2015 ont exacerbées et se prononce en faveur d’une bataille culturelle contre la radicalisation par la réappropriation en commun d’une histoire coloniale refoulée.

Stora connaît bien son sujet. Né à Constantine qu’il quitte pour la France en 1955, il devient le grand spécialiste de l’Algérie et des guerres de décolonisation. Auteur d’une trentaine d’ouvrages, il a codirigé avec son collègue en exil, Mohamed Harbi, La Guerre d’Algérie (1954-2004).
La revendication mémorielle qu’il évoque dans son ouvrage témoigne avant tout d’un besoin de reconnaissance des souffrances subies et d’une volonté de réintégrer dans l’histoire nationale des mémoires demeurées trop longtemps périphériques. L’absence de consensus national sur cette question est le signe, pour lui, que la guerre d’Algérie n’est pas terminée et se poursuit aujourd’hui à travers la lutte contre l’islam, nié dans sa diversité et présenté comme intégriste.

Pour Stora, mettre un terme à la guerre des mémoires ne consiste pas à favoriser l’amnésie, mais bien au contraire à faire acte de « reconnaissance et de réparation ». « Si nous n’intégrons pas notre passé dans un récit global qui serait unifié tout en laissant place à la pluralité, notre avenir est impossible », estime, quant à lui, Alexis Jenni.

Les guerres et le terrorisme, notent les deux auteurs, germent dans les têtes où sont stockés les souvenirs de ce qui fut. Et ces souvenirs ne sont pas faciles à assumer. La guerre d’Algérie a fait entre 300 et 400 000 morts parmi les Algériens. 24 000 militaires français ont été tués. Plus d’un million de paysans ont été déplacés et des dizaines de milliers de harkis abandonnés au massacre…

Les groupes porteurs de cette mémoire ont des visions très différentes. Parmi ces groupes, les Européens d’Algérie, « les pieds-noirs », les officiers français, au nombre de plusieurs centaines, qui avaient été démis de leurs fonctions, les enfants de l’immigration algérienne, ceux des harkis qui mettent en accusation la France dans la politique d’abandon de leurs parents… Cette communautarisation des mémoires va conduire à une guerre des mémoires menée aussi bien par les extrémistes islamistes que par les islamophobes. Pour les « sudistes », qui n’ont jamais accepté l’indépendance de l’Algérie, le désir de revanche est là avec comme figure négative celle de l’Arabe hier et du musulman aujourd’hui.

L’importance que Stora accorde au travail de mémoire fait de son livre un ouvrage de référence utile aussi bien pour ceux qui ont connu la tragédie algérienne que pour ceux qui, notamment dans les pays de notre région, sont aujourd’hui les victimes de « mémoires dangereuses ». Partout dans le monde, le passé sert d’explication aux violences en cours, justifiant les pires horreurs.


 
 
 
BIBLIOGRAPHIE
 
2020-04 / NUMÉRO 166